Paris, Presses Sorbonne Nouvelle, 2021, 232 p., 18,50 €

 
Voilà qui répond à une attente de la musicologie française : il manquait un ouvrage qui permette d’envisager les dix ans d’administration française du royaume de Naples sous l’angle des échanges culturels renforcés que cette gouvernance favorisa, et des conséquences qu’elle entraîna dans l’évolution du répertoire lyrique italien. Ce volume le fait sous la forme d’un recueil de dix études signées par les meilleurs spécialistes, réunies comme autant d’angles d’approche de la question sous la direction de Damien Colas Gallet et Alessandro Di Profio, dont la double expertise concernant la période et sa production opératique n’est plus à démontrer.

Précisons que cette publication scientifique s’adresse à un lectorat familier du genre. Il sera de préférence trilingue (pour profiter de l’article en anglais de Helen Geyer sur le « style napolitain » et sa « simplicité », et de celui en italien de Paolo Russo sur le Cesare in Egitto de Schmidt et Tritto – on peut regretter que le principe de traduction, adopté ailleurs dans l’ouvrage, n’ait pas ici été retenu, d’autant que Giovanni Schmidt, librettiste officiel des théâtres napolitains et influencé par la dramaturgie française, est un personnage clé de ce paysage global). Il sera aussi conceptuellement et esthétiquement bien armé (pour maîtriser le « néoclassicisme winckelmannien » ou la « versification isométrique » convoqués par Luca Zoppelli, qui s’attache à la figure de Francesco Florimo), historiquement affûté (l’« interrègne » lui sera familier, qui voit en neuf années Ferdinand IV de Bourbon fuir en Sicile, Joseph Bonaparte être proclamé roi, puis Joachim Murat passer du trône au peloton d’exécution – il constitue ici une toile de fond implicite).

Ce lecteur averti pourra alors suivre les tribulations en Italie d’un opéra-comique français et la façon dont s’adaptent les codes littéraires et musicaux en traversant la Péninsule jusqu’à Naples (Emilio Sala) ; ou bien un autre type de transfert : l’Ecuba de Manfroce, inspirée de celle de Milcent, auscultée en profondeur par Andrea Chegai (35 pages pour cette seule étude de cas). Daniele Carnini, quant à lui, fait le point sur les Napolitains Giuseppe et Luigi Mosca, deux frères si souvent confondus dans les sources historiques, voire les textes musicologiques – soulignons l’honnêteté rare avec laquelle le chercheur corrige ici certaines inexactitudes de ses précédentes études. Giuseppe – auquel on peut attribuer l’émergence de certaines caractéristiques du futur style rossinien – fut directeur musical du Théâtre-Italien de Paris et y fit représenter en 1805 son opera seria Ginevra di Scozia, changeant les habitudes d’une maison alors plutôt portée sur l’opera buffa ; puis il rentra en Italie et y poursuivit sa carrière. Luigi resta attaché à Naples, mais peina à voir reconnu le mérite de son Salto di Leucade (1812). Étudier les figures de Giovanni Battista Velluti et d’Andrea Nozzari, comme le fait Arnold Jacobshagen, c’est évoquer le passage de l’ère des castrats à l’ère des ténors, mais aussi rappeler son contexte précis : l’application à Naples de la législation théâtrale parisienne, l’abolition de la formation des castrats dans les conservatoires de la ville, leur interdiction sur la scène. La création napolitaine de La Vestale de Spontini (1811) marque d’une pierre blanche ce changement de paradigme. Olivier Bara rappelle comment la Gabriella di Vergi de Michele Carafa, créée au Fondo de Naples en 1816, s’inspire d’une tragédie française des années 1770 et de son genre « terrible », et inspirera à son tour le romantisme italien et son goût pour le gothique. Céline Frigau Manning se demande enfin comment le public parisien concevait, percevait ou définissait le théâtre napolitain (notamment ses interprètes, souvent accusés d’être meilleurs chanteurs qu’acteurs). À sa suite, Étienne Jardin déploie une étude lexicographique de la presse française dans les années 1801-1831, scrutant et analysant le mot « Naples » (ou « napolitain ») : quoique aride, l’exercice révèle des pics chronologiques d’intérêt et des sujets récurrents.

Un volume incontournable pour les musicologues, et précieux pour ce qu’il apporte de détail à la réflexion sur les transferts culturels, les sphères d’influence et leur réciprocité, permettant d’envisager l’histoire du genre lyrique comme un phénomène organique.


Chantal Cazaux