Symétrie, 2018, 460 p., 29 €

Auteur d'études sur Hervé et Monsigny, Dominique Ghesquière voue également une passion dominante à Offenbach, comme en fait foi la chronologie du musicien qu'il a rédigée dans le très beau catalogue de l'exposition tenue en 1996 au Musée d'Orsay. Pour souligner avec faste le bicentenaire du compositeur de La Belle Hélène, il nous offre le résultat de recherches très approfondies portant sur les premiers grands interprètes d'Offenbach : Hortense Schneider, José Dupuis, Zulma Bouffar, Désiré, Couder... Les créateurs de la Périchole, de Pâris, de la gantière Gabrielle, de Jupiter, du général Boum et autres personnages hauts en couleur y sont presque tous. Ils ne formèrent certes pas une troupe à proprement parler, puisque chacun d'entre eux suivit un parcours personnel et qu'Offenbach créa ses ouvrages dans divers théâtres (Bouffes-Parisiens, Variétés, Palais-Royal, Gaîté, Renaissance, Folies-Dramatiques...), mais l'imprécision du titre importe bien peu en regard de l'extraordinaire mine de renseignements que constitue ce volume. Fin limier, Ghesquière a trouvé la réponse à une foule de questions que l'on pouvait se poser sur l'existence, à la scène comme à la ville, de ces figures légendaires dont le répertoire ne se limita évidemment pas à Offenbach. Grâce à un minutieux dépouillement de périodiques et un travail d'une ampleur phénoménale effectué dans de très nombreuses bibliothèques spécialisées et archives départementales, il a pu écrire de petites biographies qui sont des modèles du genre. Dix-neuf chapitres sont consacrés chacun à un chanteur, tandis que trois portent sur une famille (les sœurs Marié, la dynastie Simon-Girard et les Beaucé-Ugalde) et un dernier sur les chanteurs viennois (en particulier Josefine Gallmeyer et Marie Geistinger).

À travers les destins individuels de ces artistes, c'est la foisonnante vie théâtrale de la seconde moitié du XIXe siècle qui se dessine, avec ses grandeurs et ses misères : les débuts parfois ardus, la gloire durable ou éphémère et la retraite plus ou moins dorée. Pour une Schneider statufiée de son vivant et menant une existence opulente jusqu'à sa mort à 87 ans, combien de chanteurs auront subi des revers de fortune ou connu une triste fin de vie... Il est ainsi troublant d'apprendre que le premier Ménélas, Jean-Laurent Kopp, s'est suicidé parce qu'il ne pouvait tolérer l'idée de comparaître « pour prévention d'outrage public à la pudeur » et que le créateur du général Boum, Henri Couder, est décédé à 33 ans d'une fluxion de poitrine, six mois à peine après la création triomphale de La Grande-Duchesse de Gérolstein. Même si Hervé n'a chanté que deux rôles d'Offenbach, soit le rôle-titre dans Oyayaye ou la Reine des îles (1855) et Jupiter dans Orphée aux Enfers (reprise de 1878 à la Gaîté), il a droit à un chapitre en raison de son importance en tant que « père de l'opérette » et grand rival d'Offenbach.

Cette documentation exceptionnelle est complétée par une iconographie d'une grande richesse, comprenant au moins un dessin, une gravure ou une photographie pour chacun des artistes. Un splendide cahier central de seize illustrations en couleurs comprend des reproductions de caricaturistes comme André Gill, Théo, Durandeau ou Philippe-Auguste Cattelain. En revanche, il nous faut regretter l'absence de bibliographie et le fait que l'index ne comprenne pas les titres des œuvres. Mais il est surtout inadmissible que l'éditeur ait carrément bâclé la révision linguistique, nous empêchant de goûter pleinement à cette publication qui représente un accomplissement majeur dans les études offenbachiennes.

Louis Bilodeau