Monaco, Editions du Rocher, 2017

« Le premier livre sur Roberto Alagna » nous vante la couverture - dix ans après, quand même, Je ne suis pas le fruit du hasard, par Alagna lui-même... On conseillera d'ailleurs au lecteur d'aller directement aux pages 109 à 124 : le ténor s'y exprime sans filtre et l'on y apprendra bien plus sur sa vision des personnages et du métier, sur sa technique ou sa façon d'envisager le cross over, que dans les quelque 235 autres pages.

Autour, tout autour, d'une plume aux effets de swing accumulés, l'auteur écrit un livre sur elle-même : moi et Alagna, moi et son regard, moi et son corps, moi et son génie. Sans peur du ridicule. Rien que dans les deux premières pages, le ténor est assimilé à un roi, un ange, un astre, une étoile ! Plus loin viendront le kouros et l'oiseau de paradis. Car Alagna « ne peut pas produire des sons qui ne soient pas beaux », « maîtrise tout ce qu'il fait, qui détruirait un autre », ne pousse « jamais un aïe ! » quand on le coiffe (on salue l'exploit). Mieux : Alagna est l'alpha d'une nouvelle ère du jeu scénique. Avant lui, le déluge. « Depuis Alagna, le ténor ne s'assied plus » - on sourit (encore). Mais quand on lit que Callas avait créé « un personnage splendide, mais un seul, qui lui servait à tout interpréter. Alagna en invente un nouveau chaque fois » - on ne rit plus tellement c'est grossier de bêtise, autant envers Callas (et quelques autres !) qu'envers Alagna lui-même.

On suit donc sur « quatre saisons » les émois de madame Dauxois auprès de son idole : « J'étouffe au bord de cette pièce que sa présence consume » ; « son corps résume des millénaires de sculpture classique » ; « Accroché au mur, dans la salle du XVIIe, lui à trente ans, exactement lui [...] : Caravage, Le Christ d'Emmaüs » ; « Ce jour-là, j'ai rencontré deux minutes le dieu qu'il cache en lui. Il le sait. J'ai eu peur. Il le sait. Lui aussi peut-être a eu peur » (diable ! voici l'âme de Roberto pénétrée par Jacqueline) ; « j'ai eu ses cheveux trempés, son cou trempé, son pull trempé contre moi ». Quant à la description de son masséter quasiment turgescent, on vous la laisse découvrir en page 225. On ne sait quel genre cinématographique s'emparera de cet ouvrage - puisque Dauxois est, nous dit-on, l'auteur de « plus de trente livres traduits, adaptés, filmés ». On en frémit d'avance.

Heureusement, elle constate avec bonheur n'avoir eu « en dix-huit mois, pas un réflexe fan ». Qu'aurait-ce été ! Il faut dire qu'elle les exècre, ces fans qui lui volent son héros, traités de « groupies » ou de « sangsues », comme elle exècre les « rats qui gravitent aux pieds des géants ». L'enfer, c'est les autres. Quelques formulations aux relents faisandés (sur les « gamins d'origine étrangère » responsables du caillassage à Orange en 2015, ou sur le « sang sicilien » du ténor « où l'atavisme a concentré celui des conquérants ») et quelques errances techniques (« Il palpe ses cordes vocales à travers le cou ») achèveront votre lecture, dans tous les sens du terme.

Pour plagier une formule devenue tristement célèbre, c'est dur d'être adulé par (certains) fans.

C.C.