Paris, L'Harmattan, 2014, 318 pages,  31,50 €

On connaît Jean Périsson pour l'avoir croisé une première fois à Vienne, voici presque quarante ans, au sortir d'un Boris Godounov qu'il dirigeait à la Staatsoper sans que la presse française s'en fasse l'écho. C'est que cette personnalité discrète ne s'est pas vraiment battue pour s'imposer.

En son temps, lorsqu'il créa la fameuse Carmen en chinois à Pékin - ce qui restera son titre de gloire le plus reconnu, tant on a oublié le reste -, ce n'est pas de lui dont on parlait d'abord, mais de René Terrasson et de sa production, et de l'importance de l'AFAA (Association française d'action artistique). Pourtant cette Carmen, qui existe au disque, dit combien il était attaché au style, au respect de l'œuvre plutôt qu'à la mise en avant de sa baguette. Un artisan donc, visiblement pédagogue, pas en conservatoire mais face aux orchestres, français pour les œuvres nouvelles - nombre de créations françaises d'œuvres contemporaines et d'opéras, comme Kat'a Kabanova à l'Opéra-Comique du temps où Janacek était totalement inconnu en France -, mais aussi américains (Los Angeles, San Francisco ) pour les œuvres françaises, comme certaine Africaine « pirate » qui fait toujours leçon, ou, plus étonnant, turc (celui d'Ankara lui dut de redevenir une vraie phalange) ou chinois (Carmen, bien sûr, qui demeure le grand œuvre - et toute la partie de cette aventure narrée en détail est passionnante car elle montre la passion et la patience qu'il faut pour apporter le savoir et la maîtrise à ceux qui en sont demandeurs -, mais aussi bien des concerts où tout était à enseigner, à susciter, à fonder même). Mais ce travail, parfois modeste mais reconnu, ne semble plus exister dans les mémoires de l'époque, certes fort mal documentée.

On retrouvera donc ici le tableau de tout un temps, celui de la France musicale d'après-guerre, celui des concours (Périsson a gagné Besançon en 1952), celui du répertoire, entre la Province (pendant neuf ans Directeur de la musique à Nice, avec dix 10 Wagner dont un Ring quand Paris n'arrivait plus à le monter) et l'Opéra de Paris (chef permanent de 1965 à 1969, il y reviendra encore pour Les Contes de Chéreau), puis d'un vaste travail d'exportation de notre culture et de notre savoir faire. Mais ces souvenirs fourmillent aussi de savoureuses anecdotes. Sauvé de la police allemande par la partition de la Cantate 140, à Bordeaux, Jean Périsson a fait partie des Quatre Barbus avant de préférer le concours du Conservatoire à une tournée sud-américaine ! Séducteur, il a flirté avec Sagan. Ouvert à tous, il a croisé Hugues Aufray et, dans son domaine, Markevitch (dont il a été l'assistant au Mozarteum), Béjart (dont il dirigé le Sacre)... et tant d'autres, évoqués ici d'un mot, là d'un paragraphe. Plein d'humour, il a ri de l'accent chinois de Mireille Matthieu avec Ieoh Ming Pei. L'humour, c'est la grande leçon de ces mémoires écrits alors qu'il a passé les 90 ans et demeure un vrai raconteur (une conversation avec lui est toujours un plaisir absolu tant sa culture et son parcours sont vastes et ouverts, plaisants et animés). Seul bémol ici, d'inutiles explications de texte sur les œuvres qui ne sont pas nécessaires, car ce livre léger et fluide, souriant et vivant, s'adresse bien sûr aux habitués des opéras et des salles de concerts.

P.F.