Paris, Fayard, 2014, 278 p., 17 €


Ce fut un maître, pas seulement un professeur : ce livre sur Tristan, publié après sa disparition, donne une idée de la pertinence et de la profondeur de ses vues. S'il était spécialiste de Liszt, Serge Gut connaissait intimement son Wagner et les lecteurs de L'Avant-Scène Opéra ont aussitôt fait leur miel de son article sur le fameux accord initial. Le propos s'élargit ici à l'œuvre entière, acte par actes, « période » par « période », dont il nous propose une étude très personnelle même s'il n'ignore rien de la littérature sur le sujet : plus qu'un livre de plus sur Tristan, nous tenons là le fruit d'un dialogue depuis longtemps noué avec une partition aimée entre toutes. Serge Gut nous invite d'ailleurs à « ressentir », pas seulement à « comprendre ». L'analyse musicale, pour lui, n'était pas science abstraite : elle visait, au-delà de la connaissance approfondie d'un langage, à débusquer la signification. Il n'élude pas le contexte biographique, la passion pour Mathilde, la chronologie de la composition. L'étude de l'architecture tonale, colonne vertébrale de l'ouvrage, ne l'intéresse que dans la mesure où elle lui révèle l'essence de la relation entre les deux protagonistes, lui explique le rôle des intervalles (la quinte, en particulier) et des accords, lui montre comment tout, dans l'œuvre, tend vers la transfiguration finale - car Wagner, parce qu'il pense déjà à Parsifal, dépasse Schopenhauer. Pas d'idolâtrie pour autant : Serge Gut trouve bien long le premier monologue de Marke... dont l'arrivée tonitruante, au troisième acte, ne lui semblait pas s'imposer non plus. Une très intéressante étude sur l'orchestre de Tristan, signée de Jean-Jacques Velly qui a supervisé l'édition du texte, complète l'ensemble : on voit en particulier à quel point le timbre, au-delà de la simple couleur, joue un rôle structurel. Mais avis aux amateurs : ce livre s'adresse à un lecteur musicologue, ou musicien, et se lit partition en main... avec les numéros des mesures !

D.V.M.