Paris, Buchet Chastel, 2014, 360 pages, 20 €


Il n'est pas fréquent de parler de Chopin dans L'Avant-Scène Opéra. Mais une belle occasion se présente ici, grâce à Dominique Jameux, auteur et ami de notre revue. Il nous y invite, tel Don Juan qui tend la main à Zerline, nous parlant du chant et de l'opéra qui ont séduit Chopin dès l'âge de 17 ans. La preuve, ses Variations sur Là ci darem la mano, saluées par Schumann avec le fameux Chapeau bas, Messieurs, un génie.  « Un jeu de mains pas vilain », écrit Jameux.

Alors, Monsieur Chopin, aucun opéra au catalogue ? Non, mais beaucoup en miniature, soigneusement déguisés dans son style pianistique nourri par le plus pur bel canto entendu à partir de 1831 au Théâtre Italien. Ecouter souvent les voix de Nourrit, Rubini, Pasta, Grisi ou, sa préférée, la Cinti-Damoreau, laisse des traces. Chopin profite des airs élégiaques de Bellini et les cache dans ses Nocturnes. La pyrotechnie de Rossini d'Una voce poco fà s'entend dans le piano brillant et rapide des Etudes ou des virtuoses cadences.

Connaisseur érudit, imprégné de Chopin depuis 60 ans, Dominique Jameux sait en parler simplement. En vrai écrivain, sa plume souple décape bien les vieux clichés qui pèsent sur Chopin. L'auteur aime guider le lecteur, partager sa passion restée intacte. Il relie la composition à la vie quotidienne de Chopin à Nohant et à Paris, à son caractère, à sa vie intime. Il ne cache pas ses incertitudes, lance des hypothèses biographiques risquées - sur les femmes proches de Chopin, sur son indécision sexuelle, ses jeunes élèves, ses amitiés masculines. Mais les abandonne vite, les offrant malicieusement aux futurs biographes. Au fil des chapitres courts, proches de ces petits formats chopiniens (pas plus de 10-12 minutes de musique), on observe le Chopin parisien à la vie trépidante, un prof de piano surchargé qui ménage son temps pour composer sans oublier de sortir le soir, se divertir et souper au Café Riche.

Ce livre est captivant et donne surtout envie de réécouter Chopin pour mieux (pour enfin ?) l'entendre, avec ses tonalités, son esthétique, son désarroi, ses trilles. Les plus belles pages, uniques en leur genre, sont celles où Jameux s'arrête sur les sommets : les 24 Préludes (cette encyclopédie que Chopin n'a jamais jouée en intégrale !), les Ballades, les Scherzos, la Polonaise-Fantaisie. On entend bien le miracle musical intact dont Jameux veut parler, ses phrases sont bien senties, acérées, audibles. Deux accords dans les registres extrêmes qui balisent l'espace, suivis de la furie déchaînée ? Ils vous parlent immédiatement du Scherzo n°1. L'aube cotonneuse suivie de cette « fureur de soi » qui imprègne ce livre et le construit, et vous voilà dans la Ballade n° 4, le chef-d'œuvre absolu. Là, si vous ne sortez pas vos disques ou vos partitions, vous ratez l'occasion d'entendre un Chopin revigorant, violent, fort comme ces « canons cachés sous les fleurs » dont parle Schumann - auteur, lui, d'un seul opéra...

M.P.