Anders Dahlin (Dario), Sara Mingardo (Statira), Delphine Galou (Argene), Roberta Mameli (Alinda), Lucia Cirillo (Oronte), Sofia Soloviy (Arpago), Riccardo Novaro (Niceno), Giuseppina Bridelli (Flora), Accademia Bizantina, dir. Ottavio Dantone (live 2013).
CD Naïve OP 30553. Notice et livret en français. Distr. Naïve.

Près de trente ans après - trente ans durant lesquels la vivaldomania, notamment entretenue par l'épatante collection qu'édite Naïve, nous a fait (re)découvrir un nombre confortable d'opéras du Prêtre roux -, l'on se rend compte combien Gilbert Bezzina avait eu le nez creux en enregistrant dès 1986 L'incoronazione di Dario pour Harmonia Mundi : datée de la première période d'activité lyrique de Vivaldi, l'ouvrage (1717) s'avère toujours d'un brio confondant, ce qu'on ne saurait dire de tous les drames du musicien. Son premier attrait tient au livret cruel et désopilant de Morselli, encore ancré dans la dramaturgie vénitienne du XVIIe siècle, qui mêle le bouffon au tragique sans répugner au cynisme ni au « non sense signifiant ». L'héroïne en est une princesse perse stupide, en proie à la jalousie d'une sœur machiavélique et aux manigances d'une cour viciée ; incapable de tenir son rang, la pauvre Statira multiplie les impairs (elle offre sa main à trois prétendants) et évente sans le vouloir les ruses (le désir forcené de son précepteur, la duplicité de sa sœur, l'ambition homicide d'un courtisan). Vivaldi a su tirer parti de ce joyau en soignant également récits (un régal !), parfois entrecoupés de cantatilles ou d'ariosos, et arias, dont plusieurs bénéficient d'une instrumentation bigarrée. Il n'ira en outre guère plus loin dans le genre dissonant et chromatique (et ce, dès les trois premiers airs) propre à servir un sujet aussi oriental que venimeux.

Si la comparaison avec la version de Bezzina reste inévitable, elle n'en est pas moins ardue, l'iconoclaste chef niçois ayant distribué trois contre-ténors dans les rôles des princesses et de leur camériste ! Dantone rend sagement ces parties à des contraltos féminines mais combien nous regrettons qu'il n'ait pas, en contrepartie, confié Arpago et Oronte à deux sopranistes, comme il en avait été question ! Car si nous gagnons ici en pure qualité musicale (Mingardo et Galou, en dépit d'un grave tassé, chantent globalement mieux que Lesne et, surtout, Ledroit ; l'Accademia Bizantina est plus sûre, bien qu'enregistrée de trop loin, que l'Ensemble baroque de Nice), nous perdons en expressivité ou, plutôt, en « chaleur humaine », en ambiguïté, la battue fine et travaillée de Dantone s'avérant souvent distante, trop peu en empathie avec les personnages (écoutez, chez Bezzina, l'irrésistible scène de la lettre ouvrant l'acte II). A l'exception d'une pâteuse Bridelli, les Italiens ici réunis comblent nos attentes, particulièrement Mameli (sensuelle Alinda), Novaro (Niceno plein de morgue) et Cirillo (Oronte au beau legato dans son ineffable Sicilienne). En revanche, le chant droit et serré de Soloviy dépare ce plateau et le suave Anders Dahlin ne peut faire oublier le timbre nettement plus mordant, sexy et « assis » du John Elwes d'antan. A l'image de ce Dario trop lisse, cette rutilante nouvelle version (plus complète que la précédente, puisqu'elle restitue trois morceaux aux actes II et III) ravira les jeunes vivaldiens, sans tout à fait conquérir les nostalgiques...

O.R.