Sylvie Rohrer (Jeanne), Eörs Kisfaludy (Frère Dominique), Karen Wierzba (la Vierge), Letizia Scherrer (Marguerite), Kismara Pessati (Catherine), Jean-Noël Briend (ténor), François Le Roux (basse), Knabenchor Collegium Iuventum, Gächinger Kantorei, Radio-Sinfonieorchester Stuttgart, dir. Helmut Rilling (2011).
CD Hänssler Classic 098.636. Distr. DistrArtMusic.

Le sujet, proposé à Honegger en 1934 par la grande comédienne Ida Rubinstein, qui souhaitait incarner Jeanne d'Arc, était difficile, surtout depuis la canonisation de la Pucelle et sa récupération politique. Claudel le repoussa d'abord. Puis il eut l'idée de confronter saint Dominique, fondateur d'un ordre qui devait faillir à sa mission après lui, et l'âme de Jeanne trahie, elle aussi. Deux morts qui évoquent les vices et l'aveuglement des vivants, l'horreur du procès et du bûcher, mais aussi la douceur des chants populaires, la voix des cloches. La singularité d'une articulation dramatique non linéaire, la variété des tableaux ironiques, pathétiques, tendres, cruels, fervents, la force du verbe claudélien décuplée par la déclamation en mélodrame, la maîtrise polyphonique d'Honegger, la richesse de son invention orchestrale et l'éloquence de son inspiration expliquent la popularité dont l'œuvre a joui depuis sa création en 1938.

On l'a crue datée quand la modernité de ses effets les plus inquiétants s'est estompée (le rugissement des ondes Martenot, notamment), mais elle n'attend qu'une interprétation juste et engagée pour retrouver sa jeunesse. C'est le cas ici, tant par l'engagement de Sylvie Rohrer que par la prestance d'Eörs Kisfaludy à la diction française parfaite. Les voix solistes triomphent inégalement des prouesses que le compositeur exige d'elles. C'est la seule réserve car les chœurs et l'orchestre sont excellents sous la direction visiblement inspirée d'Helmuth Rilling. L'émotion est palpable dans le silence qui précède les applaudissements.

G.C.