Anett Frisch (Fiordiligi), Paola Gardina (Dorabella), Andreas Wolf (Guglielmo), Juan Francisco Gatell (Ferrando), Kerstin Avemo (Despina), William Shimell (Don Alfonso). Ch. & Orch. du Teatro Real, dir. Sylvain Cambreling, mise en scène : Michael Haneke (Madrid, mars 2013).
DVD Cmajor 714-508-1/2. Bonus : Michael Haneke (22'). Distr. Harmonia Mundi.

Après le Don Giovanni de Tcherniakov, où le Russe nous apprenait que Zerlina était la fille de Donna Anna, voici donc le Così de Haneke, où l'Autrichien nous montre Alfonso et Despina en vieux couple établi et déchiré. Présupposé moins choquant peut-être que le précédent, mais tout aussi révélateur d'une idéologie de la mise en scène où l'on ne fait plus confiance au livret d'un opéra - à ses données comme à ses non-dits. Car si l'on gagne un sous-texte ajouté à la misogynie d'Alfonso, ici époux amer, on perd le piment moral et social de la soubrette délurée. Un exemple : l'éclat d'Alfonso (« Nel mare solca ») se trouve renforcé d'une frustration passionnelle que l'on sent brûlante, mais la première réplique de Despina est ensuite un pur non-sens... A coup de silence pesants, de regards lourds, d'airs adressés à contre-emploi (« In uomini », lancé tel une gifle de colère), de cruauté revancharde exsudant de part en part, Haneke fait son Bergman là où Mozart avait la grâce douce-amère du sourire embué. Chéreau, à Aix-en-Provence, avait tendu lui aussi Così vers des abîmes de chair triste, mais en conservant le rythme mozartien, et sa grâce. En osant, lui, se soumettre à la convention du déguisement et du quiproquo - qu'il est désormais de bon ton de radier pour crime d'artifice, mais pour la remplacer par plus artificiel encore ! Foin de quiproquo ici (le finale du II s'en trouve évidemment détruit consciencieusement, morceau par morceau), foin de spontanéité aussi : tout est décortiqué et remodelé, ralenti surtout, pour montrer la pensée à l'œuvre et la dévastation à l'ouvrage. Résultat : on râle quand l'absurdité gagne, on admire parfois (pour une direction d'acteurs brillante qui magnifie William Shimell - qui saurait dire la fin du monde d'un frémissement de cil - et Kerstin Avemo, Colombine blafarde et dépressive), on s'ennuie ferme souvent. Même si cela se laisse regarder, combinant les qualités consensuelles d'un XVIIIedesigné chez Roche-Bobois, et de chanteurs jeunes et frais, beaux et crédibles. Ils sont aussi très équilibrés dans leurs qualités vocales, maîtrisant suffisamment leur technique pour que les manques soient joliment floutés, témoignant d'un travail d'équipe qui séduit pour son ensemble plus que pour ses qualités individuelles. Un bémol : la direction pesante de Sylvain Cambreling, à la tête d'un orchestre du Teatro Real dont on sent plus l'effort que la subtilité, et d'un continuo pauvre qui pâtit aussi des blancs imposés. Certes, la température se réchauffe dans les airs ou les duos, par le biais d'acteurs-chanteurs investis et sexys. Mais c'est un froid de glace qui tombe des cintres sur l'ensemble du concept de la production. Così fan tutte ? Così fa Haneke.

C.C.