Marie Kalinine (Médée), Jean-Sébastien Bou (Jason), Judith van Wanroij (Hipsiphile), Jennifer Borghi (la Sybille), Hrachuchi Bassenz (Calciope), Martin Nyvall (ténor), Chœur du Staatstheater de Nürnberg, Le Concert Spirituel, dir. Hervé Niquet (26-27.VII.2012).
CD Glossa GES 921628. Distr. Harmonia Mundi.

D'une Médée l'autre : après celle de Gossec (Thésée) voici cette Médée à Colchos, titre sous lequel La Toison d'or fut repris - sensiblement amendé - en 1788, noire magicienne furieuse qui ne fera qu'une bouchée de sa rivale, la malheureuse Hipsiphile, finement campée ici par Judith van Wanroij. Un mot au sujet du compositeur. Johann Christoph Vogel (1756-1788) s'installa à Paris en 1776 et fut confondu par le triomphe d'Alceste au point de couler l'essentiel de son langage dans le moule gluckiste. Cela s'entend beaucoup dans cette Toison d'or qui semble moins hardie que ne le fut son premier ouvrage, Démophon (dont il existe un enregistrement Pathé dirigé par George Tzipine avec Sautereau, Noguéra et Sénéchal !), peinant sur la longueur malgré de belles trouvailles d'orchestre et un sens assez épique des ensembles. On touche peut-être là les limites d'un genre que Dauvergne, alors directeur de l'Académie, poussait volontairement dans ses stéréotypes, n'empêchant pas pour autant le public d'abandonner la Tragédie Lyrique. Il ne retrouvera pas avec l'ouvrage de Vogel le succès remporté par le coup d'éclat que fit Salieri en donnant ses Danaïdes sous le masque de Gluck. Neuf représentations suffirent à épuiser l'intérêt du public, qui ne considéra l'œuvre qu'à l'occasion de la reprise de 1788, surpris par la mort soudaine d'un compositeur qui venait tout juste de passer ses trente deux ans.

Hervé Niquet donne toutes ses chances à l'ouvrage, direction cursive et âpre qui voudrait tirer vers le drame jusqu'au style galant - typique du rayonnement de Marie-Antoinette sur la création musicale de son temps - d'une musique qui, d'un côté, joue les narcisses et, de l'autre, pille les arcanes gluckistes. Il n'est pas aidé par le français syllabique d'un chœur allemand pourtant dévoué à la cause de l'enfant de Nuremberg où il fut enregistré, mais sa distribution est formidable à une exception près, et d'ailleurs assez intrigante : Marie Kalinine, qu'on a connue tout feu tout flamme dans l'Armide de Sacchini au printemps dernier, est ici bien pâle, comme effrayée par le personnage autant que par la longueur d'un rôle qui prend tout l'espace dramatique. La voix est toujours aussi magnifique, graves de velours, aigus de soie, mais les mots lui manquent et presque le personnage. Pas à Jean-Sébastien Bou, Jason qui ne quitte jamais l'armure et dont on salue le mâle héroïsme. Sur le chemin complexe de la Tragédie Lyrique tardive, La Toison d'or n'est désormais plus seulement une date ou un titre, mais bien une œuvre. Connaissant Démophon, on aimerait que Niquet y porte son art, car il nous semble que le talent lyrique de Vogel s'y était plus librement réalisé. édition splendide en livre-disque avec trois articles passionnants.

J.-C.H.