Mlada Khudolev (l'Impératrice), August Amonov (L'Empereur), Olga Sergeeva (la Teinturière), Edem Umerov (Barak), Olga Savova (la Nourrice), Evegeny Ulanov (le Messager des Esprits), Tatiana Kravtsova (la Voix du Faucon), Ludmila Dudinova (le Gardien du Temple), Chœurs et Orchestre du Théâtre Mariinsky, dir. Valery Gergiev, mise en scène : Jonathan Kent (St-Pétersbourg, 5-6.XII.2011).
DVD Mariinsky MAR0543. Distr. Harmonia Mundi.

La voilà enfin captée cette Frau ohne Schatten pensée par Jonathan Kent pour le Mariinsky et qui créa trois soirs de suite une certaine polémique lorsqu'elle fut dévoilée au Festival d'Edimbourg. Une critique bien frileuse reprocha au metteur en scène d'avoir tenté (et à notre sens réussi) le grand écart entre l'univers de l'Impératrice, une Chine mythique créatrice d'images somptueuses, et l'Unterwelt de la Teinturière, un garage transformé en appartement, avec bagnole déglinguée, lave-linge et plumard. Au début du III, Kent superpose les deux univers, suspendant aux cintres les éléments ménagers et les attributs de l'impératrice - un immense arbre tortueux, entre autres -, image saisissante. Le tout est mené de main de maître, avec une direction d'acteur qui rend toujours limpide le moindre épisode comme les différents niveaux de lecture d'un ouvrage dont la complexité n'a effrayé ni Hofmannsthal ni Strauss - mieux, ils l'ont d'ailleurs revendiquée. On croit bien n'avoir jamais vu une mise en scène plus achevée de ce qui est à nos yeux et à nos oreilles le chef-d'œuvre de l'écrivain comme du musicien.

Et, miracle, l'ouvrage, qu'on a toujours coupé allègrement, est donné dans son intégralité : 3 h 23 d'une musique torrentielle emmenée dans un tempo soutenu par un Valery Gergiev visiblement plus inspiré par la Frau que jadis par Elektra. Avec pourtant un doute qui nous saisit : les musiciens ne le regardent guère, mais comme ils jouent, comme ils font l'orchestre de Strauss somptueux, débordé de couleurs pour l'exotisme des scènes célestes, mordant, violent, âpre lorsque l'on redescend chez les humains.

L'équipe de chant est hélas dépareillée. Assez formidable chez les humains, une Teinturière de grande venue, jamais harengère, toujours plutôt touchante qu'épuisante, Olga Sergeeva, marche dans rien moins que les pas de Ludwig, et son Barak sans façon, à l'allemand assez parfait, mérite une mention particulière pour la beauté de son chant décidément presque trop noble pour un humain : retenez bien ce nom : Edem Umerov. Impérieux Messager des Esprits, assez splendide nourrice d'Olga Savova, même si le grave d'une Hongen lui manque, mais hélas l'Empereur est bien fruste même si l'élan est là - sinon toujours les aigus de gloire. Le cas de l'Impératrice est plus complexe. Mlada Khudolev n'a pas la colorature de grâce qui saisirait dès son entrée, et à mesure de la représentation son timbre s'épuise. Mais quelle incarnation ! Si vous vous êtes ennuyé à la Frau façon studio d'enregistrement selon Christof Loy, vous retrouverez ici toute l'œuvre et rien que l'œuvre.

J.-C.H.