Thomas Johannes Mayer (Amfortas), Victor von Halem (Titurel), Jan-Hendrik Rootering (Gurnemanz), Andrew Richards (Parsifal), Tómas Tómasson (Klingsor), Anna Larsson (Kundry). Chœur et Orch. de La Monnaie, dir. Hartmut Haenchen, mise en scène : Romeo Castellucci (Bruxelles, 20.II.2011).
DVD BelAir BAC097. Distr. Distr. Harmonia Mundi.

C'est avec ce Parsifal que Romeo Castellucci fit ses débuts à l'opéra : folie déraisonnable, ou bien défi à la mesure d'un metteur en scène dont le théâtre s'est confronté aussi bien à l'épopée de Gilgamesh qu'à Shakespeare ou Eschyle, Céline ou Dante. Sa note d'intention - poésie et pensée qui s'expriment sous la forme de visions - nous dit que son Parsifal se veut expérience et communion, refus de toutes les facilités aussi : « Face à Parsifal [...], je n'ai vu aucun homme nouveau. [...] Je n'ai pu voir aucune croix gammée, même dans les profondeurs ; pas plus qu'une croix chrétienne, d'ailleurs ». L'expérience est-elle partagée, la communion réalisée ? Elles le furent peut-être pour les spectateurs qui assistèrent à la production, en 2011 à Bruxelles. Mais ce DVD, réalisé dans des « conditions de production limitées », est ardu à affronter.

La pénombre qui englobe, au premier acte, la forêt de Monsalvat, devient à l'écran un noir généralisé où l'on peine à discerner les chanteurs. La lumière qui, au contraire, aveugle le rideau baissé au moment de l'élévation du Graal, n'a pas ici la force crue qu'elle avait sans doute dans la salle. Les images fortes qui rythment le spectacle sont parfois captivantes d'humanité (la longue marche finale des figurants avançant vers le public - mais l'idée n'est pas nouvelle, et semble une variante du Crépuscule de Chéreau...), ou parfois se réduisent, par leur propre dénuement scénographique, à une dérision involontaire (les néons descendant des hauteurs pour éclairer - enfin ! - la forêt font inévitablement penser aux lumières artificielles réchauffant une plantation de cannabis home made, et Kundry semble plutôt tétanisée par le python albinos vivant qu'elle tient à la main en chantant...). Elles sont aussi, parfois - souvent -, incompréhensibles.

Un exemple ? L'acte II s'ouvre sur les définitions projetées des effets physiologiques de l'acide fluorhydrique, du bromure de béryllium, de l'hydrazine anhydre, du sulfure d'éthyle dichloré ou gaz moutarde (poisons de la blessure inguérissable ?). Suivent d'autres noms d'acides tous plus corrosifs les uns que les autres, tandis qu'en scène deux chefs d'orchestres gémellaires dirigent dans le vide, devant quelques corps blafards et nus disposés sol. C'est Klingsor (Wagner ?) - auquel la production a fait la tête de Lénine (opium du peuple ?). Protégeant ensuite son frac d'un tablier de boucher, il entreprend de suspendre les agonisantes à quelques crocs venus des cintres : voici les Filles-Fleurs (viande sexuelle ?), qui se transformeront en acrobates évoluant à la corde. Et ainsi de suite. Que Gurnemanz soit vêtu d'un treillis ou Kundry en sweat-shirt ou en robe de mariée, ce sont là des détails qui gênent moins que cette propension permanente à vouloir faire message(s) plutôt qu'à décanter celui de l'œuvre, à nous édifier plutôt qu'à nous parler.

Propension qui, en outre, déborde le champ musical au point que si l'on est, au premier acte, touché par la direction tendre voire sensuelle de Haenchen, qui galbe la partition en ses courbes les plus liquides, on peine à sentir ensuite une architecture solide et tenue - un peu de hiératisme ne nuit pourtant pas à Parsifal. Or il est difficile de distinguer ce qui, du chef ou des images visuelles qu'il « accompagne » (!), grève cette architecture. Le plateau vocal est attachant, même si la Kundry d'Anna Larsson ne marque guère : Gurnemanz de belle prestance, Amfortas large et ample - son vibrato aussi -, Titurel profond, et en Parsifal un Andrew Richards qui, selon son usage, ose des nuances d'un extrême raffinement. La chose est suffisamment rare pour être soulignée, et, si le ténor n'a pas l'autorité de timbre que l'on associe usuellement au rôle, il en possède indéniablement une compréhension profonde et subtile.

Néanmoins, même sans renouveler fondamentalement l'histoire vidéographique de l'ouvrage, les deux dernières captations (mises en scène de Lehnhoff à Baden-Baden en 2004 ou de Hollmann à Zurich en 2007), proposaient quand même Christopher Ventris en Parsifal, Waltraud Meier en Kundry, Matti Salminen en Gurnemanz et Thomas Hampson ou Michael Volle en Amfortas ! Mais la vidéographie de Parsifal est trop limitée pour que l'on dédaigne justement cette lecture, ou que l'on s'arrête à ses imperfections de captation où à son hermétisme de conception : elle aiguise l'intérêt et la réflexion, ce qui est en soi une première réussite, qu'il s'agirait surtout de rendre fertile.

C.C.