René Pape (Wotan), Doris Soffel (Fricka), Stephan Rügamer (Loge), Jan Buchwald (Donner), Marko Jentzsch (Froh), Anna Samuil (Freia), Anna Larson (Erda), Johannes Martin Kränzle (Alberich), Wolfgang Ablinger-Sperrhacke (Mime), Kwangchul Youn (Fasolt), Timo Riihonen (Fafner), Aga Mikolaj (Woglinde), Maria Gortsevskaya (Wellgunde), Maria Prudenskaya (Flosshilde). Danseurs de la Compagnie de Ballet Eastman d'Anvers, Orchestre du Théâtre de La Scala, dir. Daniel Barenboim, mise en scène : Guy Cassiers (Milan, 26 mai 2010).
DVD Arthaus 101 603. Distr. Harmonia Mundi.

Un groupe de danseurs s'ébroue tout au long de ce Ring, comme échappé du Venusberg. Si Wagner a poursuivi l'illusion du spectacle total sa vie durant, on ne savait pas qu'il avait songé à chorégraphier son Rheingold. Cet élément ajouté est purement décoratif - pratique parfois au Niebelheim pour les métamorphoses d'Alberich - et reste surtout un commentaire scénique inutile. Le spectacle sans prétention de Guy Cassiers, qui se contente de raconter l'histoire et se satisfait d'une direction d'acteur a minima, aurait suffit. Autre ajout superfétatoire, des projections exogènes et des jeux d'ombres - utiles seulement pour Freia et les Géants - qui brouillent l'image de la captation. Rien de saillant, sinon qu'on ne voit pas les Dieux monter au Walhalla mais, à la place, Stephan Rügamer, Loge inspiré, retenant ironiquement un rideau qui veut tomber trop vite.

C'est donc du côté de la musique qu'on cherchera son bonheur. Pas dans la fosse, où Daniel Barenboim se révèle souvent imprécis - les premiers échanges de Mime et d'Alberich en souffrent -, bande peu l'arc dramatique (le Niebelheim est gris trottoir, privé de tension, d'atmosphère) et opte pour des tempos sans caractère. On se rembourse avec le plateau, finement composé par Stéphane Lissner, qui réserve de bonnes surprises - sinon le Fafner de Timo Riihonen à l'allemand syllabique, et Donner ou Froh pauvrement chantés et incarnés. René Pape, en bien meilleure voix que dans l'enregistrement de Valery Gergiev, fait un jeune Wotan svelte d'allure et de voix, avec un éclat dans l'aigu et des graves souples, pour une incarnation très Liedersänger qui n'est pas sans rappeler Fischer-Dieskau. Doris Soffel, impérieuse Fricka, met tout un théâtre dans sa voix - un modèle qu'on est heureux de retrouver. Tout comme on se délecte de voir enfin capté le Mime anthologique de Wolfgang Ablinger-Sperrhacke, chanté autant que parlé, caustique à souhait. Il semble que l'Alberich si bien chantant de Johannes Martin Kränzle, baryton noble - un Wolfram - ne l'effraye guère, et c'est bien le problème. Si Kränzle compose un personnage subtilement dessiné, si son baryton aux harmoniques si lyriques prend le contrepied des voix bien plus noires qu'on associe à Alberich depuis Gustav Neidlinger, si, en fait, on aime cette idée, le rapport de domination avec Mime s'en trouve affaibli. Mais une telle silhouette est gagnante pour la scène avec les Filles du Rhin, qui en détaille chaque étape, dévoilant la psychologie du personnage initiateur du drame. Et ces Filles sont luxueusement distribuées, avec une incarnation radieuse, la Woglinde d'Aga Mikolaj. Autres perles, la Freia aux abois, tendre et révoltée pourtant, d'Anna Samuil, et la prophétie éplorée d'Erda selon Anna Larsson. On admire toujours autant le legato du Fasolt de  Kwangchul Youn, plus amoureux que Géant, on admire surtout le Loge suprêmement bien chanté et joué de Stephan Rügamer, véritable deus ex machina de ce Prologue auquel manque ici son ton essentiel  de comédie. La faute au chef ! On l'attend dans Walküre, tout aussi luxueusement distribué, où Nina Stemme avait conquis le public de La Scala.

J.-C.H.