Œuvres de Vecchi, Monteverdi, Cavalli, Scarlatti, Lully, Charpentier, Campra, Rameau, Blow, Purcell, Haendel, Keiser, Telemann, Graun. Les Arts Florissants, Concerto Vocale, Akademie für Alte Musik Berlin, Orchestre de l'Âge des Lumières, Freiburger Barockorchester, Ensemble 415 ; dir. René Jacobs, William Christie, Dominique Visse (1984-2007).
Harmonia Mundi HMX 29008658.99 (39 CD + 3 DVD). Distr. Harmonia Mundi.

Qu'aurait-été la fortune discographique de l'opéra baroque - et le legs de deux de ses plus vaillants zélateurs, William Christie et René Jacobs - sans Harmonia Mundi ? Si, au cours des dix dernières années - crise oblige -, l'éditeur arlésien s'est peu à peu désengagé de cette cause qu'on espère gagnée, ce monumental coffret offre un saisissant aperçu du travail éditorial fourni au cours des vingt précédentes. On y trouvera seize opéras, une musique de scène, une « comédie madrigalesque » et diverses autres pièces, répartis en quatre zones géographiques.

Le territoire allemand, presque entièrement dévolu à Jacobs (à l'exception du disque d'« Ouvertures pour l'Opéra de Hambourg », superbement enlevé par l'Akademie für Alte Musik de Berlin) est peut-être le mieux servi, qui juxtapose le très rare et baroquissime Croesus de Keiser (Révérence, L'ASO n° 199), à l'étonnante version telemanienne du mythe d'Orphée (une version d'Orpheus bien supérieure à celle parue depuis chez DHM) et à un Cleopatra e Cesare de Graun, en italien, dans lequel Janet Williams, Iris Vermillion et Lynne Dawson rivalisent d'irrésistible roucoulades.

Pas mal non plus, le volume réservé à la France et, cette fois, à Christie, qui recèle plusieurs enregistrements déjà légendaires : l'emblématique Atys de 1987 (voir notre discographie dans L'ASO n° 94), la seconde version de Médée de Charpentier enregistrée par Les Arts Florissants, avec une impressionnante Lorraine Hunt, et, du même compositeur, une musique de scène du Malade imaginaire d'une indépassable poésie, en dépit de la concurrence pleine de verve de Minkowski. Moins populaire mais pas moins indispensable, l'imposant Idoménée de Campra (version 1731), inspiré de Crébillon et qui inspira Mozart : une tragédie lyrique on ne peut plus freudienne, dont les incandescents récitatifs (au cours desquels s'affrontent une Piau, un Delétré, une Zanetti chauffés à blanc) ne sont qu'à peine adoucis par quelques descentes divines et autres tempêtes. Seule déception : des Indes galantes interprétées sans grand panache - mais notons que cet ouvrage kaléidoscopique, l'un des plus populaires de Rameau, n'a jusqu'ici connu aucune version de référence.

L'Angleterre et l'Italie exigeaient des choix plus drastiques. Si le répertoire d'Albion ne pouvait se passer des deux seuls « véritables » opéras de Purcell et Blow (les délicieux et forts proches Dido & Aeneas et Venus & Adonis, tous deux par Jacobs), comment tailler au sein de la manne haendélienne ? Oui, mille fois oui aux Flavio et Rinaldo de Jacobs, qui donnent une bonne idée de l'évolution de ce chef entre 1990 (date d'un Flavio pétillant et encore vénitien, où l'on remarque notamment les deux électrisants contre-ténors américains Derek Lee Ragin et Jeffrey Gall) et 2003 (date d'un Rinaldo plus hollywoodien, Révérence dans L'ASO n° 214). Mais le fade Giulio Cesare en DVD ici retenu (direction de Lars Ulrik Mortensen, mise en scène de Francisco Negrin) aurait pu être avantageusement remplacé par l'intégrale discographique, certes bien connue, du chef belge.

En Italie, il a aussi fallu arbitrer au sein des ouvrages monteverdiens gravés par le même chef : dommage pour Le Retour d'Ulysse, sa plus grande réussite, hélas absent, mais bienvenue au Couronnement de Poppée de 1990 et, surtout, à l'envoûtante production scénique d'Orfeo, aux accents wilsoniens, due à la chorégraphe Trisha Brown. Bienvenue surtout à deux joyaux du baroque ultramontain, servis avec sa fougue coutumière par un Jacobs épris de théâtre : l'un du XVIIe (l'inénarrable, licencieuse, luxurieuse Calisto de Cavalli), l'autre du XVIIIe (une Griselda de Scarlatti dont l'altière beauté musicale ne dissimule pas les relents sado-masos !).

En somme, fort peu de scories au fil de ces presque cinquante heures d'écoute, qui offrent un panorama exhaustif de l'art lyrique né entre 1600 et 1750 - le tout pour environ 2 € le CD. Une dernière louange : si les livrets doivent être consultés sur un CD-ROM joint au coffret, les notices de présentation originales ont toutes été reproduites sur papier. Bravo, car, on ne le répétera jamais assez, l'opéra, c'est aussi du texte !

O.R.