Ida Miccolis (Ilàra), Lourival Braga (Iberé), Alfredo Colosimo (Americo), Luiz Nascimento (Conte Rodrigo), Antea Claudia (Contessa di Boissy). Orchestre et chœur de Rio de Janeiro, dir. Santiago Guerra (live 20.VI.1959).
CD Bongiovanni GB 1226-27-2. Distr. DOM.

L'opéra c'est ça ! On imagine ce cri du cœur poussé par un amateur de grandes voix, délivré soudainement de la bienpensance à la mode, libre enfin de jouir de sa passion sans avoir de comptes à rendre aux baroqueux et puristes de tout poil ni aux addicts de la mise en scène, ravi de découvrir non seulement une œuvre parmi les plus injustement négligées du répertoire, mais aussi des chanteurs coupablement oubliés.

D'Antonio Carlos Gomes (1836-1896), précurseur de la Jeune école italienne, nous sont restitués par ailleurs Salvator Rosa et le célèbre Il Guanarany. Mais le retour d'O Escravo (Lo Schiavo), son œuvre la plus chargée de symboles patriotiques, dans une interprétation torride, constitue un événement. Le musicien brésilien d'ascendance portugaise y exalte la lutte abolitionniste à la fin du XVIe siècle, alors même que la Loi d'or de 1888 vient de mettre fin à l'esclavage des noirs dans son pays. Le livret met en scène les amours contrariées d'un aristocrate portugais et d'une esclave indienne, avant que leur union emblématique ne soit finalement conclue grâce au sacrifice de l'époux de cette dernière, reconnaissant envers le prétendant pour sa défense de ses frères asservis.

Orchestre d'une débordante générosité, porteur d'un lyrisme sans complexes, émaillé de curieuses ponctuations des bois et d'étincelantes fanfares - que le chef maison, Santiago Guerra, s'efforce de faire sonner au mieux. Son plateau est confondant de ferveur dramatique et de relief vocal. Dans l'air d'Americo « Quando nascesti tu », rendu célèbre notamment par Caruso et Lauri-Volpi, le ténor Alfredo Colosimo, applaudi en Manrico comme en Chénier sur le sol italien, éblouit par la rutilance du timbre et la fermeté du soutien, qualités que peuvent lui envier la plupart de ses successeurs d'aujourd'hui ! Son aimée, ici l'ardente Ida Miccolis, que Bergonzi affrontera plus tard en Floria Tosca, n'est autre que la nièce de l'inimitable Aureliano Pertile. Projection imparable et medium de braise font de cette Ilàra une protagoniste incandescente. Autre compatriote brésilien, le baryton verdien Lourival Braga marie comme bien peu souplesse et éclat, mordant du timbre et noblesse du phrasé, quand le Conte Rodrigo affiche une égale tenue. Seule la trémulante Comtesse gâte un peu notre plaisir. Lequel est des plus vifs.

J.C.