Marc Mauillon (Egisto), Sophie Junker (Clori), Zachary Wilder (Lidio), Ambroisine Bré (Climene), Romain Bockler (Hipparco), Nicolas Scott (Dema), David Tricou (la Nuit, Apollon), Eugénie Lefebvre (l’Amour), Caroline Meng (Vénus), Le Poème harmonique, dir. Vincent Dumestre.
Château de Versailles Spectacles CVS 076 (2 CD). 2021. Notice en français. Distr. Outhere.
 
Créé l’année de la mort de Monteverdi, en 1643, L’Egisto est le sixième des trente-trois opéras avérés de Francesco Cavalli et la seconde de ses dix collaborations avec le librettiste Giovanni Faustini – avec qui il produira notamment L’Ormindo l’année d’après et La Calisto en 1651. Intitulé « fable dramatique » (plutôt que drama per musica), cet ouvrage intimiste constitue, à bien des égards, un cas particulier : l’intrigue y est ramassée, ne fait appel qu’à peu de protagonistes et à une scénographie plutôt dépouillée ; en revanche, la partition, l’une des plus séduisantes de Cavalli, regorge de mélodies, qui coulent et se renouvellent sans discontinuer (écoutez les scènes entre Clori et Lidio, sommets de l’érotisme vénitien !), réservant le pur récitatif à certains passages précis (notamment à la folie d’Egisto).
 
Tôt reconnue pour sa hauteur d’inspiration, l’œuvre fut enregistrée dès 1973 par Hans Ludwig Hirsch dans une version tronquée, qui a stylistiquement vieilli mais n’en alignait pas moins une fort belle distribution (Lilian Sukis, Trudeliese Schmidt, Nikolaus Hillebrand, etc.). En 2012, l’Opéra-Comique en proposait une production mise en scène par Benjamin Lazar et dirigée par Vincent Dumestre, dont voici l’écho – tardif !
 
En dix ans, la plupart des interprètes ont été renouvelés. Sophie Junker incarne désormais Clori, rôle sensuel de femme fatale qui semble écrit pour sa voix racée (sublime « Amor, chi ti diè l’ali ? »), à laquelle fait pendant celle, lumineuse, du haut ténor Zachary Wilder. En retrait au premier acte, la Climene mélancolique d’Ambroisine Bré bouleverse dans ses plaintes des actes suivants (« Piangete occhi dolenti », enrobé par les cordes fottées), les emportements de son frère Hipparco se voyant superbement rendus par le soyeux baryton de Romain Bockler. Nicolas Scott campe une amusante nourrice érotomane, à l’italien néanmoins exotique, et si Nicolas Tricou (autre ténor de caractère) est un Apollon de luxe, on aurait préféré une sombre alto pour la menaçante intervention de la nuit. Parmi les quatre sopranos incarnant les rôles secondaires, on remarquera surtout la féroce Vénus de Caroline Meng et l’Amour mutin d’Eugénie Lefebvre.
 
Seul rescapé des soirées de l’Opéra-Comique, Marc Mauillon, pour une fois, trouve en Egisto un rôle convenant à sa tessiture naturelle de ténor grave : musicien accompli, il distille ses monologues avec un sens raffiné du texte mais, comme toujours, tend à « nasaliser » quand il s’agit d’exprimer des sentiments extrêmes – au risque de faire rire plutôt que pleurer (Acte III, scène 5), ce qui ne messied pas complètement à ce rôle de « fou par amour ».
 
Souple, voluptueuse, chatoyante, la réalisation de Dumestre a les défauts de ses qualités : voici une lecture constamment enivrante où l’hédonisme l’emporte sur la cruauté. Si les interventions du cornet et de la flûte restent occasionnelles, celles de la viole, du violoncelle et de la harpe accentuent par trop la joliesse de l’œuvre, en atténuant l’alacrité du recitar cantando.
 
Dernière réserve – qui, évidemment, ne disqualifie pas cette parution nécessaire : diverses erreurs entachent l’identification des plages, dans le livret…

Olivier Rouvière