Nicky Spence (Tito), Simona Šaturová (Vitellia), Anna Stéphany (Sesto), Chiara Skerath (Servilia), Antoinette Dennefeld (Annio), David Steffens (Publio), Chœur Accentus et Chœur de l’Opéra de Rouen Normandie, Orchestre de l’Opéra de Rouen Normandie, dir. Ben Glassberg.
Alpha 793 (2CD). Distr. Outhere.
 
Disons le tout de go, malgré d’incontestables qualités, et tout particulièrement la vivacité de sa direction d’orchestre, cette belle version de la Clemenza di Tito n’a pas l’impact des versions historiques désormais de Kertesz, Böhm, Davies, Gardiner, Harnoncourt, Jacobs même… Et c’est une question de chant et de théâtre, avant tout.
 
Mais on ne peut s’empêcher d’abord de se féliciter qu’un opéra de Mozart puisse être plus que dignement enregistré en France, en l’un de ces lieux moins emblématiques que les scènes parisiennes. Exceptons Aix-en-Provence, qui aura produit Rosbaud (chez Warner), et Christie plus tard, et hier Rhorer, enregistrant au TCE ses choix mozartiens – discutables – de l’été. Paris aurait pu, dû même, enregistrer ses Mozart, époque Liebermann, mirifiques. Mais Solti préféra emmener les équipes de Garnier vers Londres, laissant une petite place au Philharmonique de Strasbourg avec Lombard (Cosi fan tutte). Vint le temps des orchestres spécialisés, avec ses hauts, comme Les musiciens du Louvre Grenoble (Mitridate) et ses bas comme l’Insula Orchestra (Lucio Silla), rivalisant cependant sans peine avec les productions aussi vides que lisses des majors (le cycle Nezet-Seguin chez DG, par exemple !)
 
Et voilà Rouen, avec son orchestre « normal » lui aussi, en rien baroque, qui prend le relais, et c’est bien cet orchestre qui fait tout l’intérêt de cet enregistrement parce qu’il n’est pas spécialisé, ne cherche pas à tout prix le seulement historiquement informé, mais d’abord un sens de l’action, du drame, de l’esprit et de l’affect mozartien, qui fonctionne ici à plein et que la prise son met particulièrement en valeur dans sa transparence (le confinement a du jouer ici son rôle dans la spatialisation distancielle). Bravo donc à Ben Glassberg, le jeune chef britannique, pas même 30 ans, qui a métamorphosé en moins de trois ans cet orchestre qu’il porte au feu avec sa battue enlevée, sa légèreté de touche, son sens de l’action, de l’émoi surtout, cœur battant partout, renvoyant, ce n’est pas un mince compliment, à Kertész en ce qu’il avait de si vivant.  
 
Reste la distribution, inégale, du fait surtout de son principal écueil, la Vitellia de Simona Šaturová, voix charmante quand elle ne joue pas hors de son territoire et qui n’est en rien la princesse jalouse, volcanique, politique, prête à tout pour satisfaire son ambition démesurée, bref un vrai personnage de tradition baroque, quand les autres pointent le nez vers le romantisme qui éclot déjà. Il faut ici de l’impérial, du dominateur, écoutez Casula même, si décriée, Varady bien sûr, Vaness… Certes, c’est plutôt bien chanté, mais en rien supérieur. Quasi soubrette dans « Deh, se piacer mi vuoi », et pas encore parfaitement disciplinée au niveau des liaisons. Et pas à sa place, pour le vertige existentiel de « Non più di fiori », dont la reprise la laisse sans grave, aigu strident, prise en charge si pâle qu’on l’oublie aussitôt, tandis que le cor de basset remplit l’espace sonore de sa subtilité.
 
Face à elle, avec  Nicky Spence, ténor bronzé de timbre, style parfait, incarnation charpentée, Tito est bien là, avec son autorité, mais surtout son empathie, son humanité. Et avec Anna Stéphany, déjà Sesto – très convainquant – à la scène, à Glyndebourne, qui n’est certes pas Berganza, mais sait, elle, dialoguer avec une divine clarinette (« Parto, parto »). Antoinette Dennefeld, parfois bien laborieuse (« Tu fosti tradito »), n’est pas le Annio miroir de Sesto. Chiara Skerath a, elle, la délicatesse, le fruité, la jeunesse du timbre qui font les belles Servilia. David Steffens, élégant, n’est lui guère marquant. Et chœurs un peu massifs, mais très présents. Au final, si Vitellia ne convainc guère, on n’en est pas moins content d’un Mozart qu’on peut réécouter avec intérêt.  

Pierre Flinois