Tobias Hunger (Apollon), Marie Luise Werneburg (Dafne), Magdalena Podkoscielna (Vénus), Magdalene Harer (Cupidon), Georg Poplutz (Ovide), Musica Fiata, dir. Roland Wilson.
CPO 555494-2 (1 CD). 2021. 1h16. Notice en anglais. Distr. DistrArt Musique.
 
La Dafne d’Heinrich Schütz (1585-1672), créée au cours d’un mariage à la cour de Saxe en 1627, est réputée être le tout premier opéra allemand. Hélas, si le livret de Martin Opitz nous a été conservé, la partition en est perdue. C’est donc à une hypothétique reconstitution que s’est attelé Roland Wilson, adaptant la musique de divers « concerts » spirituels ou profanes de Schütz aux vers d’Opitz présentant la même métrique.
 
Avant d’aborder le résultat de cette entreprise minutieuse, il convient d’adresser une mise en garde à l’auditeur. Schütz a eu une vie longue et bien remplie (il décèdera à 87 ans), au cours de laquelle son style a évolué de façon constante. En 1627, il n’a que quarante-deux ans et n’a effectué que le premier de ses deux voyages à Venise, durant les années 1609 à 1612, qui lui a permis d’étudier auprès de Giovanni Gabrieli. Ce n’est que lors du second (1628-1630) qu’il rencontrera Monteverdi et se formera à la composition du récitatif, dont il donnera de magistraux exemples dans son Histoire de Noël (1664).
 
En 1627, nous n’en sommes pas là : d’ailleurs, Dafne semble avoir été reçu avec une certaine condescendance et considéré comme une simple comédie entrelardée de lieder. Le livret d’Opitz constituant une adaptation fidèle de celui de Rinuccini mis en musique par Peri et Da Gagliano, Wilson a choisi de remployer ici les récitatifs du second (ceux du premier ont disparu), en les pliant au texte allemand. Ces passages, assez rares, sont les moins convaincants, surtout si on les compare aux « véritables » récits conçus par Schütz pour l’Histoire de Noël.
 
Le reste de la partition est constitué d’arias strophiques entrelardées de ritournelles (la première étant une adaptation du « Chiome d’oro » de Monteverdi) et d’amples chœurs, où l’on retrouve toute l’expressivité du Schütz « première manière » – l’ouvrage culminant dans les derniers airs d’Apollon et l’acte final, parsemé de chromatismes et d’audacieuses dissonances.

Grand spécialiste de Gabrieli, Wilson attaque l’ouvrage avec une intrada de Scheidt à double chœur, et fait choix d’un instrumentarium très coloré, dont les sonorités évoquent davantage la Renaissance tardive (importance des trombones, violes et cornets) que le baroque naissant. Pareillement, les trois sopranos, aux voix de garçonnets, nous transportent plutôt du côté de l’église que du théâtre.
 
Les rôles du contre-ténor et de la basse se limitant aux chœurs, c’est donc aux deux ténors – à l’Apollon fleuri de Tobias Hunger (dont l’émission haut perchée rappelle celle de Guy de Mey) et, plus encore, à l’Ovide éloquent et corsé de Georg Poplutz – que revient d’assumer la dimension véritablement opératique de cette Dafne.
 

Olivier Rouvière