Carmela Remigio (Griselda), Raffaele Pe (Gualtiero), Francesca Ascioti (Ottone), Mariam Battistelli (Costanza), Miriam Albano (Roberto), Krystian Adam (Corrado), La Lira di Orfeo, Coro Ghislieri, dir. George Petrou.
Dynamic CDS7935 (3 CD). 2021. Live. Notice en anglais, italien. Distr. Outhere.

Des quelques cent-quatorze opéras composés par Alessandro Scarlatti, Griselda est le dernier, et peut-être le plus beau. Le livret de Zeno, qui explore si magistralement notre sadisme inconscient, n’y est pas pour rien : on y voit un roi de Sicile feindre de répudier son épouse, la bergère Griselda, pour épouser la fille qu’elle lui a autrefois donnée ; laquelle, suivant sans le savoir les traces de son père, repousse à son tour son bien-aimé… Créé au Théâtre Capranica de Rome en 1721 par une fabuleuse distribution, entièrement masculine (Farfallino dans le rôle-titre, les futurs contraltos haendéliens Bernacchi et Pacini en Gualtiero et Ottone, un Carestini de vingt ans en Costanza), il ne connut pas le succès public – la musique du sexagénaire Scarlatti ne séduisait plus guère – mais une rapide diffusion, qui nous l’a transmis sous plusieurs formes. Les interprètes modernes ne s’y sont pas trompés : avant même la révolution baroqueuse, Mirella Freni en grava deux intégrales – en 1960, avec Maderna, et en 1970, avec Sanzogno –, que les curieux n’hésiteront pas à rechercher, en dépit des transpositions (on peut notamment y entendre Ernst Haefliger en Roberto). En 2002, René Jacobs en proposa une lecture historiquement informée, rétablissant les tessitures originales, tout en omettant quelques pages (entre autres, les quatre premières scènes de l’acte III). La présente version, qui se targue de suivre une « nouvelle édition critique préparée par le Festival de Valle d’Itria à l’occasion du tricentenaire de l’œuvre », reste fidèle à la mouture de Jacobs, supprimant en outre deux da capo et le premier air de Corrado – ce qui est bien dommage, quand on dispose d’un ténor aussi délicieux que Krystian Adam ! On regrette aussi la prise sur le vif, qui nous vaut divers bruits de scène, approximations et, surtout, des applaudissements réduisant à néant la superbe tension de l’acte II, qui conduit au duo Griselda/Costanza (lesquelles se reconnaissent… en rêve) et au trio final. On n’en admire pas moins la direction de Petrou – à la tête d’un orchestre réactif –, extrêmement expressive, souvent rapide, mais sachant aussi valoriser les contrastes et ménager le suspens (« Nell’aspro mio dolor »). Les chanteurs, moins solides que ceux de Jacobs, auraient gagné à être enregistrés en studio : Raffaele Pe se montre ici maniéré et peu attentif à son registre grave, tandis que Francesca Ascioti, si vaillante d’habitude, aborde trop timidement (et avec trop de staccato) la figure machiavélique d’Ottone. Dans le rôle-titre, Carmela Remigio affiche un médium précocement usé, ce qui ne l’empêche pas de s’avérer fort touchante (merveilleux récit final). Mariam Battistelli restant, elle, trop verte, c’est la troisième soprano, la vibrante Miriam Albano, qui nous séduit le plus, en jeune premier. Gravée avec plus de soin, cette lecture de Petrou aurait probablement détrôné celle de Jacobs, trop précieuse ; telle quelle, elle ne fait que la compléter.

Olivier Rouvière