Valerio Contaldo (Ulisse), Lucile Richardot (Penelope), Juan Sancho (Telemaco, Giove), Marielou Jacquard (Minerva), Ambroisine Bré (Melanto, Ericlea, la Fortuna), Pierre-Antoine Chaumien (Eurimaco), Jörg Schneider (Iro), Cyril Auvity (Eumete), Alex Rosen (Nettuno, Antinoo, Tempo), Fabien Hyon (Anfinomo), Filippo Mineccia (l’humana Fragilità, Pisandro), Marie Perbost (Giunone, Amore), Les Épopées, dir. Stéphane Fuget.
Château de Versailles-Spectacles CVS069. 2021. Notice trilingue. Distr. Outhere.

Ces dernières années, la discographie du premier opéra vénitien (conservé) de Monteverdi s’étoffe rapidement, davantage que celle du plus populaire Couronnement de Poppée. L’ouvrage reste néanmoins périlleux, ainsi que l’ont démontré le ratage de Gardiner (Soli Deo Gloria, 2018) et la demi-réussite de Dantone (DVD Dynamic, 2021). La proposition de l’ensemble Les Épopées – fondé en 2018 et activement soutenu par le Château de Versailles, où il se trouve en résidence – attisera sans doute les controverses. L’instrumentarium se veut économe : quatorze musiciens seulement (Pearlman, en 2015 chez Linn, en convoquait vingt-cinq), dont certains sont amenés à jouer de plusieurs instruments (flûtes/cornets, théorbe/guitare). Les couleurs ne sont pas sacrifiées, et plusieurs ritournelles – notamment celle illustrant le voyage des Phéaciens – apparaissent même fort évocatrices, mais les deux violons manquent de souplesse et les clavecins se font parfois bavards. La distribution vocale, qui répartit les vingt personnages entre douze chanteurs, semble plus discutable : drôle d’idée de confier ainsi Melanto et Ericlea à la même voix (assez triviale, en outre), alors que les deux rôles se côtoient sur scène ! Le plus gênant reste la direction qui, pour contrebalancer la modestie des effectifs, tend à l’expressionnisme : rallentendos, rubato, pauses intempestives, tout est bon pour « mimer la vie ». Dans les récitatifs, ce parti-pris porte parfois ses fruits : ainsi, les deux récits de Télémaque (II, 3 et 10), qui peuvent se changer en tunnels quand ils sont platement débités, y gagnent-ils en théâtralité. En revanche, les pages plus mélodiques se voient constamment malmenées (le duo de Melanto et Eurimaco en perd toute séduction) et la structure des grandes scènes (le prologue) se délite. Il manque ici l’expérience des planches pour que le naturel remplace l’affèterie, que la respiration se substitue aux contorsions. Certains interprètes résistent à l’outrance : dans les duos du début de l’acte II, les ténors Contaldo, Sancho et Auvity restent poignants, en dépit de la lenteur des tempi. Celle-ci met cependant en péril Jacquard, dans ses redoutables vocalises, et Mineccia, qui court après son timbre. Et d’autres chanteurs s’autorisent de l’histrionisme ambiant pour multiplier les grimaces : si l’on comprend que Rosen (belle basse, au demeurant) joue les gros méchants en Antinoo, pourquoi ricane-t-il autant en Neptune ? Quant à Richardot, à nos oreilles, elle s’avère bien peu écoutable, notamment dans son monologue d’entrée : sons ouverts et appuyés, émission à la fois nasale et rauque, médium absent, passage éteint, diction artificielle (« Tournah Oulissèh ») – ce n’est plus du recitar cantando mais de l’orrido canto ! Vous l’aurez compris : on n’a pas aimé. Mais les férus de vérisme y trouveront peut-être leur compte…

 

Olivier Rouvière

À lire : notre édition du Retour d'Ulysse/L'Avant-Scène Opéra n° 159