Krystian Adam (Orfeo), Hana Blažíková (La Musica/Euridice), Lucile Richardot (Messaggieria), Francesca Boncompagni (Proserpina), Gianluca Buratto (Caronte/Plutone), Kangmin Justin Kim (Speranza), Furio Zanasi (Apollo). English Baroque Soloists et Monteverdi Choir, dir. John Eliot Gardiner, mise en espace, John Eliot Gardiner et Elsa Rooke (La Fenice, 2017).
Opus Arte OA1347D. 2017. Synopsis et sous-titres en français. DistrArt Musique.
 
Premier des trois opéras de Monteverdi donnés en version semi-scénique par John Eliot Gardiner en 2017 afin de souligner les 450 ans de la naissance de Monteverdi, cet Orfeo constitue l'aboutissement de cinq décennies de recherche et de réflexion de la part du chef, qui dirigea d'abord l'ouvrage (prologue et actes I et II) aux concerts des Proms du Royal Albert Hall en 1969. Après avoir enregistré une première intégrale en 1985 (Archiv), voici que Sir John immortalise à La Fenice un spectacle qu'il a mis en espace avec la collaboration d'Elsa Rooke. Divisés en deux groupes de chaque côté de la scène, les English Baroque Soloists libèrent ainsi une aire de jeu où se tiennent le plus souvent les chanteurs, qui évoluent également à l'arrière-scène ainsi que dans la salle. Si les solistes et les membres du Monteverdi Choir esquissent à l'occasion quelques pas de danse en guise de réjouissance, les mouvements et la gestuelle très sobres tout au long de la représentation ne distraient jamais de la portée hautement spirituelle de l'œuvre. L'intérêt se concentre donc sur l'interprétation musicale, qui privilégie nettement l'intériorité au détriment d'une certaine intensité dramatique, ce qui se traduit par de nombreux passages chantés sur le ton de la confidence et surtout des tempi le plus souvent modérés, voire excessivement lents. C'est là le principal reproche que l'on peut adresser à Gardiner, qui tend à négliger le théâtre au profit de l'hédonisme musical. Cela dit, on savoure avec gourmandise la splendeur de cet orchestre d'une ductilité extraordinaire qui sait parfaitement écouter les chanteurs et créer d'envoûtantes atmosphères, notamment lorsque sacqueboutes et cornets à bouquin évoquent l'entrée du Tartare au début de l'acte III. Tout aussi admirable de précision et d'homogénéité, le chœur sert cette musique avec une véritable ferveur qui trouve peut-être son sommet au moment de la mort d'Eurydice.
 
Pour incarner le demi-dieu, le chef a choisi le ténor polonais Krystian Adam, qui déploie des trésors de sensibilité musicale et dont le « Possente Spirto » impressionne par un art des nuances conjugué à une technique d'une grande solidité. Dans le superbe duo final « Saliam cantando al ciel », cette assurance vocale vient d'ailleurs porter secours au très faible Apollon de Furio Zanasi, seule erreur de distribution. Parfaite en Eurydice ingénue, Hana Blažíková marque surtout les esprits en Musica inspirée et qui égrène quelques notes sur une toute petite harpe posée à même sur le sol. Dès son cri perçant lancé du fond de la salle, la Messagère de la mezzo française Lucile Richardot est saisissante dans son récit de la mort tragique d'Eurydice. Kangmin Justin Kim est pour sa part une Speranza d'une infinie commisération, mais le contre-ténor malmène un peu sa ravissante voix à la fin de son monologue. La Proserpine de Francesca Boncompagni, qui assiste en témoin muet à la confrontation entre Orphée et Charon, exerce un tel pouvoir de séduction physique et vocale qu'on ne s'étonne pas qu'elle réussisse à faire fléchir la volonté toute-puissante de son époux Pluton. Dans ce dernier rôle et celui du nocher infernal, Gianluca Barutto possède non seulement l'autorité et la noirceur de timbre nécessaires, mais démontre des dons évidents d'acteur. C'est à lui que Gardiner confie par ailleurs le soin de jouer du tambour, ce dont il s'acquitte avec beaucoup d'énergie, de la toccata initiale jusqu'à la moresca, qui termine dans l'allégresse une exécution émouvante mais qui manque par moments de tonus. 

Louis Bilodeau