Anna Dennis (Rodelinda), Christopher Lowrey (Bertarido), Thomas Cooley (Grimoaldo), Franziska Gottwald (Eduige), Julien Van Mellaerts (Garibaldo), Owen Willetts (Unulfo), FestspielOrchester Göttingen, dir. Laurence Cummings.
Accent ACC26416 (3 CD). Live. 2021. Notice en anglais. Distr. Outhere.

 Si, il y a vingt ans, alors que les maisons de disques prenaient encore le risque de graver en studio et avec d’ambitieuses distributions les opéras de Haendel, l’une d’entre elles avait embauché Cummings, nous tiendrions peut-être la version de référence de l’ineffable Rodelinda. Car, nous l’avons suffisamment répété dans ces colonnes, l’ancien directeur artistique du Festival de Göttingen et actuel leader de l’Academy of Ancient Music est aujourd’hui le meilleur apôtre de ces ouvrages. On peut certes imaginer baguette plus sophistiquée, travaillant davantage les détails et les contrastes (même si la dynamique se voit toujours très étudiée), mais non pas respiration, pulsation rythmique, intuition expressive, cantabile (avec ce qu’il faut de germanique) plus intrinsèquement haendéliens. Ici, tout sonne juste (parfaits récitatifs) – dans les limites du live. Et si certains tempi nous paraissent parfois trop retenus, on le doit, à l’évidence, au souci de ménager les chanteurs. Car nous sommes en scène, bruits et prises de souffle intempestives le prouvent assez. En outre, l’orchestre de Göttingen n’a rien d’une Rolls (hautbois et basson solos piteux, flûte inaudible, cordes précautionneuses) et la distribution vocale – où font cruellement défaut les voix italiennes – reste modeste. Passons sur le mal canto de Van Mellaerts (baryton trop clair obstinément qualifié de « contre-ténor » par la notice) et les problèmes techniques de Gottwald, que le studio aurait pu rectifier. Willetts et Cooley phrasent avec plus de soin, mais leurs timbres apparaissent bien ternes, l’incarnation scolaire, trop peu méditerranéenne. Les timbres de Dennis et Lowrey ne sont pas non plus les plus ensorcelants du monde, mais nous avons affaire ici à des interprètes d’une autre trempe : si la voix de Dennis, dépourvue de vibrato, ne dégage guère de chaleur, on admire son homogénéité, sa solidité, sa capacité à triompher, en termes de tessiture, de virtuosité et de justesse, d’un rôle exigeant dans lequel tant d’autres, récemment (Daneman, Crowe, Ganassi), ont affiché leurs limites. Le contre-ténor Lowrey chante de mieux en mieux, le placement et la vocalise sont de plus en plus assurés, et, surtout, il campe un Bertarido constamment bouleversant. En s’appuyant sur ces deux excellents musiciens, Cummings réussit quelques moments de grâce : l’entrée de Bertarido, la sicilienne de Rodelinda et le duo de l’Acte II, divinement phrasé jusqu’à sa fin pianissimo. Si tout avait pu être de cette eau ! Notons pour finir que c’est la version révisée de décembre 1725 (et non de février, comme le déclare la notice) qui est ici proposée : « Vivi tiranno » y remplace « Se fiera belva », « Ahi perché, giusto ciel » s’y substitue à « Se’l mio duol », tandis que « Sono i colpi » est (hélas) révisé et qu’un bref duo précède le chœur final. Très imparfait (les seconds rôles, l’orchestre, la captation) mais passionnant (la direction)…

 Olivier Rouvière

À lire : notre édition de Rodelinda/L'Avant-Scène Opéra n° 306