Jessica Pratt (Giulietta), Sonia Ganassi (Romeo), Shalva Mukeria (Tebaldo), Rubén Amoretti (Capellio), Luca Dall'Amico (Lorenzo), Orchestre et chœurs, Teatro La Fenice, Venise, dir. Omer Meir Wellber, mise en scène, Arnaud Bernard, décors, Alessandro Camera, costumes, Carla Ricotti, lumières, Fabio Barettini, réalisation, Stéphane VéritéSur le vif, 18 janvier 2015.
Naxos 2.110730 (1 DVD). Notice et synopsis italien, anglais. Distr. Outhere.
 
Il y a sans doute plus à écouter qu’à regarder dans la captation du Roméo et Juliette bellinien donné en cette Fenice vénitienne, lieu de sa création en 1830. Œuvre charnière nourrie de bel canto tardif et d’influx romantiques déclinés en ineffables mélodies, cet opéra ne doit rien à Shakespeare et tout aux poètes et novellistes italiens qui, depuis le Moyen-Âge, ont enrichi la légende du couple mythique. Vérone, déchirée au XIIIe siècle par la rivalité entre Guelfes et Gibelins, est censée trouver dans la régie scénique d’Arnaud Bernard une mise en abyme via le décor de musée pictural qui lui sert de cadre. Personnages et situations n’y trouvent hélas qu’une traduction assez convenue. La version originale retenue commande de distribuer en Roméo une mezzo en travesti, en l’occurrence, Sonia Ganasssi, habituée du rôle et artiste dont les mérites ne sont plus à vanter. Reste que la manière dont on l’a ici attifée et la gestuelle qu’on lui impose privent le mythique séducteur de toute séduction pour le réduire à l’état de mauvais garçon, inhibé par sa petite taille. Qu’il ait pu faire chavirer le cœur et les sens de sa Juliette, une Jessica Pratt ô combien féminine, exhibant ses appas exacerbés par des tenues affriolantes : le spectateur a peine à l’imaginer. Les voix seules, par bonheur, sont en mesure de sublimer ce que les apparences nous empêchent de ressentir. Celle de Giulietta, pliée aux exigences du chant donizetto-bellinien, offre une égalité de soutien et de dynamique qui ne trouvent leur limite que dans la modestie d’un medium discret. Si ce timbre moiré ne peut faire oublier la lumière cristalline dont une Scotto ou une Devia savaient hier alléger leur expression, la cantatrice australienne flatte au mieux les courbes sensuelles d’une ligne vocale à l’image de son aura féminine. Au fil des années, l’assurance de Sonia Ganassi est allée de pair avec une inévitable érosion de ses moyens. N’édulcorant aucunement les exigences belcantistes de ses périlleuses interventions, maîtrisant le phrasé et les mélismes d’une écriture piégeuse, celle qui brillait voici trente ans en Rosina du Barbier et se mesurait récemment à la Lady Macbeth verdienne (sic), semble parfois y perdre son latin. À preuve cette « Tremenda ultrice spada » aux variations improbables, à la diction pâteuse, aux sauts de registres scabreux. Travers excusables au regard des qualités par ailleurs déployées, à la différence des insuffisances en Tebaldo du ténor georgien Shalva Mukeria, dans un mauvais jour. Les basses ne laissent aucun souvenir marquant. La direction d’Omer Meir Wellber, à la tête d’un orchestre maison parfois brouillon, alterne éclats guerriers, portés par des chœurs virulents et alanguissements alla Chopin. S’inscrivant dans un catalogue récemment enrichi des prestations des couples Netrebko, Joyce DiDonato ou Garanča, ces Capuleti n’ont pas à rougir de ces souvenirs parisiens ou viennois, tant Bellini parvient à y imposer, vaille que vaille, l’élan juvénile de son génie.
 

Jean Cabourg