Claire Lefilliâtre (Pallas, Bellone, la Gloire), Florie Valiquette (la Paix, une Parque), Mathias Vidal (le Génie de la Terre), Marc Mauillon (Mars, Saturne), Thomas Van Essen (Vulcain, un Guerrier), La Tempesta, Les Chantres du Centre de Musique baroque de Versailles, dir. Patrick Bismuth
Château de Versailles Spectacles (1 CD). 1h21. 2021. Notice en français. Distr. Outhere.
 
En 2015, la violoniste Hélène Houzel identifie une partition inédite d’André Campra : Le Destin du nouveau siècle, opéra-ballet daté de 1700, qui ressortit au genre bien particulier des divertissements montés par l’éminent collège jésuite Louis-le-Grand, afin d’édifier ses illustres pensionnaires et de les initier aux arts (notamment à la danse) – un genre auquel appartient aussi, par exemple, le David et Jonathas de Charpentier (1688). Le livret allégorique du Destin va droit au but : dans le prologue, Saturne s’inquiète de ce que sera ce XVIIIe siècle qui vient de naître ; il sera guerrier, affirment Mars, Bellone et Vulcain dans la première entrée ; non, il sera pacifique, espèrent le Génie de la Terre et la Paix dans la seconde. Pallas réconcilie tout le monde dans la dernière entrée en assurant que le nouveau siècle sera… un peu des deux. Guère d’action, donc, mais une distribution imposante (une quinzaine de rôles), une orchestration colorée (cordes, continuo, hautbois, flûtes, basson, trompettes, timbales) et une partition riche d’une cinquantaine de brèves sections, souvent dansantes – où l’on remarque, entre autres, l’invocation aux Parques, des rigaudons bourdonnants pour Mars, une ramiste mélodie de flûte pour la seconde divinité champêtre, un air en passacaille pour la Paix et une pétillante chaconne finale. De cette œuvre du tout début du XVIIIsiècle, ne nous est parvenue qu’une copie datée de 1740, qui en offre une version sans doute remaniée. Dès lors, l’interprétation hésite : faut-il jouer la carte du grand opéra ou du divertissement de collège ? Un peu des deux, mon général. Rondement mené, l’orchestre compte moins de vingt musiciens, dont trop peu de cordes graves, ce qui oblige le basson à jouer trop souvent – et les violons se montrent bien flageolants dans les menuets pour la Paix. Chœur réduit aussi (17 membres), alors que la partition joue constamment de l’antiphonie entre partisans de la Guerre et de la Paix : le résultat est parfois piquant, parfois précaire (dans les vocalises). Et les « petits rôles » tirés du chœur ont bien des progrès à faire – surtout les contre-ténors, égarés ici ! Quant aux solistes, rodés à ce répertoire, ils offrent des bonheurs modestes : la diction de Valiquette laisse à désirer, Lefilliâtre commence avec des sons tubés pour s’améliorer ensuite, Mauillon appuie laidement l’émission tantôt dans le nez (pour l’aigu) tantôt dans la gorge (pour le grave de Saturne), Van Essen passe inaperçu et seul Vidal fait preuve d’un véritable lyrisme. Mais on se demande si ces scories n’ont pas été voulues ou, du moins, accueillies, pour rappeler l’origine scolaire d’un ouvrage qui fut sans foute partiellement créé par des amateurs.

Olivier Rouvière