Saioa Hernández (Leonora), Roberto Aronica (Don Alvaro), Amartuvshin Enkhbat (Don Carlo), Annalisa Stroppa (Preziosilla), Ferruccio Furlanetto (Padre Guardiano), Nicola Alaimo (Fra Melitone), Orchestre et chœur du Maggio Musicale Fiorentino, dir. Zubin Mehta, mise en scène, Carlus Padrissa (La Fura dels Baus), décors, Roland Olbeter, costumes, Chu Uroz, lumières, Franc Aleu, réalisation, Tiziano Mancini.
Enregistrement live, 2021, Teatro del Maggio Musicale Fiorentino.
Dynamic 37930 (2 DVD) Notice et synopsis italien, anglais. Distr. Outhere. 
 
Le barnum de la Fura dels Baus posait l’an dernier ses tréteaux sur la scène du Teatro del Maggio Musicale Fiorentino, précédé d’une réputation (méritée) de grand dynamiteur des productions opératiques en tout genre. À son actif, maintes et maintes opérations coup de poing, parmi lesquelles la provocante Aïda de Vérone en 2014 ou l’ébouriffant Siège de Corinthe de Pesaro en 2017. S’agissant de La Force du destin, le régisseur de cette Fura avançait derrière le bouclier idéologique d’un philosophe américain, David Lewis. L’auteur de Sur la pluralité des mondes lui fournissait la thèse du refus de la dimension terrestre de ce destin, au profit de la multiplicité des univers possibles. Une théorie qui contribue ici à pulvériser les données spatio-temporelles d’un drame en soi déjà éclaté, ici étiré entre le XVIIIe siècle et l’an 333 avec un retour aux temps primitifs ! Spectateurs intrigués, nous assistons à l’envolée dans l’espace des héros de La Force du destin vers un irrésistible trou noir métaphysique. Un voyage dans la nuit, au rythme des habituelles vidéos, acrobaties lascives et maquillages grotesques, censés éclairer un propos qu’ils contribuent à noyer. Nous revient alors en mémoire le propos liminaire de Claudel en tête du Soulier de Satin : « C'est ce que vous ne comprendrez pas qui est le plus beau ».

Versus ce jeunisme militant de la mise en scène, le vétéran Zubin Mehta ne peut offrir que son inévitable blanchiment dans les travaux musicaux, érosion manifeste dans la lourdeur de sa battue. Les interprètes jetés dans ce maelström de lieux et d’instants ne devraient pouvoir compter que sur leur charisme afin de donner corps et âme à un livret plus que jamais déjà tortueux. Saioa Hernández impose sa présence vocale plus qu’elle ne la diversifie, appuyant ses aigus rayonnants au prix de certaines incertitudes d’intonation et de phrasé. On lui saura gré de pondérer sa fougue afin d’épouser le legato de sa « Vergine degli angeli ». Le conquérant Alvaro maltraite sa ligne et son émission pour n’offrir que vaillance univoque et sonorités improbables. Don Carlo serait plus fruste encore s’il ne s’amendait çà et là, par exemple à la faveur de son « Urna fatale ». Un padre Guardiano érodé, un Melitone hors du diapason, une Preziosilla risible, accentuent le naufrage. Seuls les solistes instrumentaux et les chœurs sont à la hauteur des enjeux. Au final, un délire scénique abstrait au service d’errances musicales.

Jean Cabourg