Florie Valiquette (Phryné), Cyrille Dubois (Nicias, Thomas Dolié (Dicéphile), Anaïs Constans (Lampito), François Rougier (Cynalopex), Patrick Bolleire (Agoragine/Un héraut). Orchetre de l’Opéra de Rouen Normandie, Chœur du Concert Spirituel, dir. Hervé Niquet (Rouen, Opéra, 31 mai-2 juin 2021).

Palazzetto Bru Zane. Présentation et livret bilingues (fr., angl.). Distr. Outhere.

C’est d’abord un tableau de Gérôme : Phryné devant l’aéropage - la vue d’un sein de la courtisane athénienne accusée d’impiété suffit, en réalité à la faire acquitter par ses juges alors que le peintre la représente toute nue. Saint-Saëns en fit un opéra-comique sur un livret d’Augé de Lassus, auquel le public de l’Opéra-Comique réserva un accueil triomphal en 1893. Un petit chef-d’œuvre malgré la modestie de ses proportions, où l’orchestre scintille et pétille. Le facétieux Saint-Saëns y parodie volontiers l’opéra-comique, rappelant parfois Offenbach, friand de clins d’œil à la fois déférents et persifleurs au passé, comme dans l’air de Dicéphile, que poivre un basson goguenard. Mais le passionné d’archéologie et de recherche musicale convoque volontiers la musique grecque antique – du moins telle qu’on croyait alors la connaître. Sibyl Sanderson, qui allait créer Thaïs un an plus tard, mettait tout le monde à genoux par sa voix et son physique, Lucien Fugère, le plus grand chanteur acteur de sa génération, incarnait Dicéphile, archonte à la vertu austère et vaniteuse, affolé par les charmes de l’hétaïre.

Elle cache son neveu couvert de dettes, avec lequel elle chante un duo d’amour à la sensualité capiteuse. La fureur du vieillard ne tient pas longtemps : Phryné se transforme en statue de Vénus Aphrodite, puis reparaît sur sa couche. Pris en flagrant délit, Dicéphile donne à son turbulent neveu la moitié de sa fortune… De cette Phryné on n’avait qu’un enregistrement de la Radio, affecté de coupures, dirigé par Jules Gressier, avec Denise Duval, Michel Hamel et André Vessières. Voici une version intégrale, avec les récitatifs de Messager remplaçant en 1896 les dialogues parlés. Même s’il n’a pas la malice et les couleurs de Gressier, Hervé Niquet dirige avec entrain un excellent orchestre normand. Cyrille Dubois délivre une leçon de style en Nicias tendrement enamouré, comme Thomas Dolié en archonte affriolé, à qui manque cependant l’ébouriffante vis comica de Vessières. La Phryné de Florie Valiquette n’est pas moins bien chantante, malgré des vocalises un peu savonnées et des aigus perfectibles, courtisane charmante plus que charmeuse, sans la séduction coquine de Denise Duval – cherchez aussi l’irrésitible Andrée Esposito dans « J’errais sur le rivage ». Anaïs Constans aurait pu elle aussi chanter la courtisane : écoutons sa parfaite Lampito. François Rougier et l’imposant Patrick Bolleire complètent parfaitement une distribution française de la plus belle eau. 

Didier van Moere