Stuart Jackson (Lucio Vero), Rachel Kelly (Vologeso), Gemma Summerfield (Berenice), Angela Simkin (Lucilla), Jennifer France (Flavio), Tom Verney (Aniceto), The Mozartists, dir. Ian Page.
Signum Records D692 (2 CD). 2h20. 2016. Notice en anglais. Distr. UVM Distribution.

Allié de la France lors de la Guerre de Sept ans, le duc de Würtemberg n’a aucun soldat à offrir : il a investi tout l’argent avancé par Louis XV dans un orchestre fastueux, un nouveau théâtre et une troupe de chanteurs italiens. Tandis que les puissances européennes s’étripent, Stuttgart n’a d’oreille que pour le nouveau maître de chapelle, Niccolo Jommelli (1714-1774)... Adulé par le jeune Mozart, le poète Métastase et le docteur Burney, Jommelli, de formation napolitaine, mène parallèlement à Gluck une réforme du vieil opéra séria dont témoignent les ouvrages écrits pour Stuttgart, notamment ce Vologeso de 1766. Les livrets, choisis par le duc, sont vieillots (celui de Zeno pour Vologeso datait de 1700), le chant orné règne toujours en maître, mais l’écriture orchestrale se complexifie (peu de récits « secs »), la forme-sonate des airs se développe, les ensembles (trio, quatuor), originaires de l’opera buffa, s’invitent, tout comme les ballets et chœurs à la française (Fetonte, inspiré du Phaéton de Lully, suivra Vologeso). Si les quelques 80 opéras de Jommelli ont été vite oubliés et sont aujourd’hui peu donnés, c’est qu’ils semblent trop exigeants pour les voix, les instrumentistes et l’auditeur. On se réjouira donc d’emblée de cette publication, quitte à déchanter pour une raison souvent avancée : par souci d’économie, l’interprétation a été enregistrée « sur le vif ». Et, qui dit live, dit bruits (rires, applaudissements), captation imparfaite (les vents, notamment les cors, restent en retrait) et, surtout, coupures : quatre numéros (et un da capo) disparaissent, dont l’ultime aria du rôle-titre, ce qui est tout de même gênant. D’autant que, si le personnage est falot, on entendrait volontiers davantage son interprète, une Rachel Kelly ardente, au fort joli grain – et on exprimera le même regret au sujet de l’autre mezzo, la mordante Angela Simkin. Honnêtes prestations de la soprano Jennifer France (privée de son redoutable second air) et du contre-ténor Tom Verney. Mais ce sont surtout les figures de Berenice et Lucio Vero, la princesse captive et son vainqueur romain, qui ont inspiré Jommelli : en dépit d’un accent et de vocalises perfectibles, Stuart Jackson incarne avec panache ce rôle de ténor jaloux, tandis que la soprano Gemma Summerfield chante joliment une partie qui mériterait timbre plus marquant et coloré. Une version intégrale de Vologeso avait déjà été gravée en 1997 par Frieder Bernius (Orfeo), à la tête d’un bon orchestre de… Stuttgart, justement : la lecture de Page s’avère plus vivante, dirigée avec plus de souplesse (mais moins de précision), globalement mieux chantée – elle est cependant trop incomplète pour que nous puissions la recommander.

Olivier Rouvière