Jessica Pratt (Linda), Teresa Iervolino (Pierrotto), Francesco Demuro (Carlo, Visconte di Sirval), Vittorio Prato (Antionio), Marina di Liso (Maddalena), Fabio Capitanucci (Il Marchese di Boisfleury), Michele Pertusi (Il Prefetto), Antonio Garès (L'intendente del feudo). Orchestre et chœurs du Mai musical florentin, dir. Michele Gamba. Mise en scène : Cesare Lievi (Live, Florence, 15 janvier 2021). Notice en italien et anglais.

DVD Dynamic 37911. Distr. Outhere.

Composée pour Vienne où elle fut créée en 1842, Linda di Chamounix, appartient aux dernières années créatrices de Donizetti et pourrait à la fois résumer toute son œuvre tout en annonçant celles de la génération suivante. Ce melodramma semiseria, genre hérité du premier dix-neuvième siècle, semble en effet préfigurer par son sujet deux œuvres majeures de Verdi, Luisa Miller et La Traviata. Le livret de Rossi, inspiré comme il convient d'une pièce française, La Grâce de Dieu, met en scène les amours contrariées d'une jeune paysanne savoyarde avec un vicomte dont elle ignore l'identité et dont elle se croira abandonnée pour une fiancée de sa classe. En arrière-plan, la pièce évoque un phénomène « social » contemporain, l'immigration saisonnière des populations montagnardes vers la capitale en quête d'un travail pour survivre, qui se concrétise à travers le personnage de Pierrotto, mezzo en travesti, compagnon d'infortune de Linda, proche du Pippo de la Gazza ladra. On retrouve tout le lyrisme mélodique du compositeur à son meilleur dans le rôle de Carlo, l'amoureux de Linda, dans leur premier duo dont le thème sert de fil conducteur à l'action, et dans celui des retrouvailles de l'héroïne avec Pierrotto. L'opéra comporte bien sûr une scène de folie mais elle ne le conclut pas. Répondant aux codes du genre l'œuvre s'achève sur un « lieto fine » au cours d'une scène où Linda retrouve ses esprits lorsque lui revient son amoureux qui n'est pas sans rappeler La Somnambule. Le coup de génie du compositeur est d'intégrer l'élément bouffe dans le personnage noir du vieux Marquis libertin qui intrigue pour s'offrir les faveurs de la jeune fille, un peu comme le Podestat de la Gazza ladra de Rossini. Leur duo au deuxième acte où tandis que Linda se débat contre ses avances, le Marquis ironise sur un mode "léger", mixe les deux registres avec une étonnante virtuosité et semble comme une version grotesque du duo de Violetta et de Germont père dans la Traviata.
Cette production captée à Florence en 2021 – c'est à dire sans public – choisit une approche très classique dans des décors stylisés, évoquant l'époque de la création sans prétendre au moindre réalisme mais cherchant une certaine vérité dans le jeu des acteurs. Dans le rôle-titre, Jessica Pratt fait bien ressortir la maturation de son personnage, de la jeune fille candide du premier acte à la jeune femme mûrie du deuxième, se révélant particulièrement pathétique dans le dernier. Vocalement, le rôle convient particulièrement à sa voix de grand lyrique colorature et elle s'épanouit tout à fait dans sa scène de folie auquel elle donne une remarquable épaisseur. Si ses aigus métalliques sont affaire de goût, on ne peut lui dénier un investissement de tous les instants qui au final convainc pleinement. En Carlo, Francesco Demuro, ténor au timbre étroit pousse un peu trop ses aigus et manque de charme. La composition de Fabio Capitanucci en Marquis arrogant et libidineux est particulièrement réussie. Dans le rôle de Pippo, la belle voix chaude et profonde de Teresa Iervolino fait merveille. Omniprésent, tel une sorte de témoin de l'action, ou peut-être comme un avatar du dramaturge, Michele Pertusi apporte toute la dignité de sa basse noble au Prefetto. Enfin Marina di Liso et Vittorio Prato offrent une belle stature aux parents de Linda, le baryton se révélant particulièrement convaincant dans son rôle de père assez développé. D'excellents chœurs, un orchestre qui répond à toutes les intentions d'un chef attentif aux différents climats de chaque tableau ainsi qu'à son plateau, désignent cette réalisation comme la référence moderne pour découvrir cette œuvre rare et attachante dans une mise en scène d'une parfaite lisibilité.

Alfred Caron