Michael Spyres (Mitridate), Julie Fuchs (Aspasia), Sabine Devieilhe (Ismene), Elsa Dreisig (Sifare), Paul-Antoine Bénos-Djian (Farnace), Cyrille Dubois (Marzio), Adriana Bignagni Lesca (Arbate), Les Musiciens du Louvre, dir. Marc Minkowski.
Erato (3 CD). 2020. 2h31. Notice en français. Distr. Warner.


Paradigme de l’opéra séria, dont il représente une sorte d’apogée en même temps qu’il en annonce le déclin, Mitridate (1770), commandé par Milan à un Mozart de quatorze ans, ne cesse de fasciner les chefs d’orchestre. Mais si les intégrales discographiques sont nombreuses – Hager (deux fois), Fischer, Norrington, Page, Rousset, Wentz, etc. –, aucune n’a atteint l’incandescence de la lecture qu’en donnait Harnoncourt au Festival d’Aix, en 1983 (DG en a publié un écho approximatif en DVD). On pouvait espérer que Minkowski, fin connaisseur de ce répertoire, nous en livre enfin une version de référence. Nos espoirs sont vite douchés par les coupes que subit ici la partition – nous sommes pourtant au disque et l’enregistrement s’étale sur 3 CD ! Passons sur la suppression des seconds airs de Sifare et d’Ismene (même si elle ne se justifie ni du point de vue de la hiérarchie des rôles ni, en fait, du point de vue musical) ; passons aussi sur le remplacement de la version définitive du premier air d’Ismene par sa version primitive, beaucoup moins fine. Mais on ne peut passer sur les coups de hache portés aux récits, qui ont pour effet de retrancher… l’intégralité de l’action dramatique : à l’acte I, Sifare ne révèle plus qu’il est le rival de son frère ; au dénouement, personne ne nous apprend que Farnace a tourné casaque ; pire, au centre de l’action, à l’acte II, la machiavélique duperie montée par Mitridate pour piéger Aspasia passe à la trappe – rendant grotesque la traduction italienne du beau vers racinien : « Seigneur, vous changez de visage ». Quelle mouche a piqué Minkowski pour qu’il traite ainsi le récitatif en intermède superflu ? Quant à sa direction ardente, efficace, et, au dernier acte, réellement prenante, elle manque de ce sens du suspense qu’on trouvait chez Harnoncourt : ici, une fois le tempo et le climat posés, ils n’évoluent plus (« Già di pietà »). Et si ses cordes sont magnifiques, on reste frustré par la prestation modeste du cor solo dans « Lungi da te ». La distribution offre heureusement de grandes satisfactions. Le grave de baryténor de Spyres et son égale maîtrise du suraigu confèrent sa pleine carrure à un rôle crucifiant, dont il réussit cependant davantage les éclats (superbe « Quel ribelle », et pas seulement à cause du contre-) que les failles (« Tu che fedel », assez tendu). À l’inverse, la voix juvénile et charnue de Julie Fuchs flatte davantage les pages préromantiques, il est vrai soignées par Minkowski (« Nel sen mi palpita », « Nel grave tormento »), que son air de bravoure initial. La musicalité, le chant soyeux, égal en dépit des écarts de registre, de Dreisig tombent sans un pli sur les sages épaules de Sifare tandis que Devieilhe gazouille délicieusement ce qui lui reste à chanter, et que Dubois, comprimario de luxe, confère une classe folle à Marzio. Le choix d’un contre-ténor pour Farnace ne nous a jamais vraiment convaincu : si
Bénos-Djian offre un timbre et une présence plus consistants qu’Asawa (Decca), il ne se confronte qu’aux versions simplifiées de ses airs, dont il transpose systématiquement les aigus – dommage, pour un rôle aussi dramatique. Quant à la très frustre Bignagni Lesca, on n’en dira rien, par charité. Demi-déception, donc : beaucoup de belles cartes en mains, trop peu d’ambition.

Olivier Rouvière