Simon Lin (Gustiniano), Roberto Frontali (Belisario), Carmela Remigio (Antonina), Annalisa Stroppa (Irene), Celso Albelo (Alamiro), Anaïs Majias (Eudora), Klodjan Kacani (Eutropio), Stefano Gentili (Eusebio), Matteo Castrignano (Ottario) ; Orchestre et Choeur Donizetti, dir. Riccardo Frizza (Live Bergame, 21 novembre 2020). Notice et livret en italien et en anglais.
CD Dynamic CDS 7907.02 - DVD 37907. Distr. Outhere.

Avec Belisario, tragedia lirica créée en 1836 à la Fenice de Venise, Donizetti qui considérait lui-même cette œuvre comme moins "travaillée" que Lucia qui l'avait immédiatement précédée, semble chercher de nouvelles voies en accordant une place essentielle à l'orchestre et en confiant le rôle-titre à un baryton. Le livret basé sur l'histoire (mythique) de Belisaire, général de l'Empereur Justinien, exilé après avoir été aveuglé pour cause de trahison, nous emmène à mi-chemin entre drame historique et tragédie antique. À cette donnée venue de sources littéraires antérieures (Marmontel, Voltaire via une tragédie contemporaine de Franz Ignaz Holbein), Cammarano ajoute une conspiration menée par la femme du héros, Antonina, en vue de venger la mort de leur fils, assassiné par son mari au nom d'un rêve prémonitoire qui le lui avait présenté comme l'ennemi de l'Empire romain d'Orient. L'enfant s'avérera avoir été épargné et sera "reconnu" par Belisario dans Alamiro, un prisonnier goth qu'il a "adopté" à l'issu de sa dernière campagne. Au fil des trois actes, sous-titrés "Le triomphe", "L'Exil" et "La Mort", le librettiste offre au compositeur des situations fortes et très contrastées dont il fait son miel musical dans un registre qui n'est pas sans évoquer le premier Verdi. Belisario, dans le premier final où il avoue son crime, dans le duo avec sa fille Irène qui l'accompagne, aveuglé, en exil (telle Antigone et Oedipe dont la tragédie semble résonner tout au long de l'opéra) et dans le trio de la reconnaissance de son fils, a des accents à la Boccanegra. On retrouve certes dans le personnage d'Antonina, la figure féminine typique du soprano "sfogato", à qui revient la dernière scène où, à la limite de la folie, elle exprime sa culpabilité et son remords d'avoir causé la perte et la mort de Belisario, mais beaucoup d'autres personnages, Irene et Alamiro, le traitre Eutropio et même Giustiniano, enrichissent cet opéra de scènes à la tonalité originale.  
Ressuscité à la fin des années 1960 par Giuseppe Taddei  puis Renato Bruson avec Leyla Gencer, cet opéra rare n'a connu que très peu de réalisations discographiques. Enregistré en concert sur une soirée au festival Donizetti de Bergame pendant la seconde phase de l'épidémie, cette version  se recommande pour son plateau de haut niveau, parfaitement homogène jusqu'aux rôles les plus épisodiques. Dans celui de Belisario, le vétéran Roberto Frontali fait valoir un baryton chaleureux capable d'autorité comme de la plus grande douceur, compensant par un style impeccable une voix légèrement voilée. Peut-être un peu légère pour le rôle d'Antonina, Carmela Remigio puise au plus profond d'elle-même la violence vindicative de ses imprécations et domine son rôle avec une technique impeccable, se révélant singulièrement impressionnante dans la terrible scène finale. D'une grande franchise d'émission, Anna Maria Stroppa touche par son mezzo clair et son chant inspiré en Irène. Exceptionnellement nuancé, Celso Albelo est un Alamiro de grand luxe tout comme la puissante basse de Simon Lin incarnant Giustiniano. Le ténor albanais Klodjan Kacani se fait remarquer par son superbe timbre dans le rôle secondaire du traître Eutropio auquel il donne une forte présence. Dirigé de main de maître par Riccardo Frizza qui en révèle toute la richesse orchestrale et  restitue la diversité des ambiances, à la tête d'un orchestre et d'un chœur impeccables, cet enregistrement constitue sûrement la meilleure porte pour découvrir cet opéra méconnu. Dans la vidéo, la simple mise en espace des entrées et sorties des personnages à  l'orchestre couvert d'un grand plateau suffit par le jeu des physionomies et des regards à suggérer toute la force du drame à laquelle contribue sûrement la gravité des moments pendant lesquels cette production a été montée.

Alfred Caron