Mari Eriksmoen (Fiordiligi), Katija Dragojevic (Dorabella), Mauro Peter (Ferrando), Andrè Schuen (Guglielmo), Elisabeth Kulman (Despina), Markus Werba (Don Alfonso). Concentus Musicus de Vienne et Chœur Arnold Schoenberg, dir. Nikolaus Harnoncourt. Mise en espace : Felix Breisach (Theater an der Wien, mars 2014).
Bonus : Documentaire « Nikolaus Harnoncourt – Between Obsession and Perfection. Part 3: Così fan tutte » (52 min.)
Notes et sous-titres en français.
Unitel 804108 (2 DVD). Distr. DistrArt Musique.

Clôturant la trilogie Mozart-Da Ponte dirigée par Nikolaus Harnoncourt au théâtre an der Wien en mars 2014, ce Così fan tutte séduit tout autant qu'il irrite. Son principal atout consiste en une distribution sans faille qui réunit six des chanteurs mozartiens parmi les plus doués de leur génération et qu'on chercherait en vain à départager, car ils forment une équipe d'une rare homogénéité. La plus belle preuve en est l'extraordinaire fusion des voix dans les nombreux ensembles, en particulier les duos des deux sœurs et le trio « Soave sia il vento », qui atteint à un équilibre proprement prodigieux. Chacun possède également l'exact profil vocal de son rôle. Mari Eriksmoen, à qui on pardonne aisément un grave plutôt inconsistant, est une Fiordiligi au timbre juvénile, à la technique sûre et sachant traduire à la perfection les intermittences du cœur. La voix opulente de Katija Dragojevic offre le plus beau des contrastes, faisant de Dorabella une jeune femme à la sensualité davantage affirmée. La Despina vive et au caractère bien trempé d'Elisabeth Kulman offre une surprise de taille en adoptant une voix très grave dans ses deux rôles travestis. Idéal d'élégance et de raffinement, Mauro Peter incarne un Ferrando touchant, capable aussi bien d'une suavité extrême dans « Un'aura amorosa » que de la plus grande véhémence dans « Tradito, schernito ». En Guglielmo (curieusement appelé ici Guillelmo), Andrè Schuen fait entendre une magnifique voix ronde d'une grande souplesse. Désabusé et cynique à souhait, Markus Werba campe un Don Alfonso encore jeune qui adopte le plus souvent le ton de la confidence, ne donnant guère l'occasion de mettre en valeur ses moyens pourtant impressionnants.

La direction d'Harnoncourt constitue malheureusement l'aspect le plus problématique de cet enregistrement. Si l'on admire la tenue souveraine du trio mentionné ci-haut ou les sons capiteux du Concentus Musicus dans la sérénade du deuxième acte, il faut convenir en revanche que le chef opère des choix fort discutables de tempi et d'articulation. Brusque, acéré et précipité dans l'ouverture, il adopte le plus souvent des rythmes alanguis, voire d'une lenteur exaspérante, notamment dans le quintette « Di scrivermi ogni giorno » et « Per Pietà ». En voulant à tout prix retrouver une certaine authenticité, Harnoncourt s'interroge sur chaque mesure et néglige la vue d'ensemble. Il souhaite aussi conférer plus de naturel aux récitatifs, mais ne parvient en définitive qu'à dépouiller ceux-ci de tout relief et à les rendre ainsi totalement ennuyeux. Voilà qui est bien dommage pour un tel artiste et une aussi belle distribution.

Louis Bilodeau