Ana Maria Labin (Constance), Samantha Gaul (Laurette), Theodore Browne (Dorval), Fabian Kelly (Sainville), La Stagione Frankfurt, dir. Michael Schneider.

CPO 555 336-2 (CD). 2019. 56’. Notice en anglais. Distr. DistrArt Musique.

Né à Mannheim, qui entretenait alors l’orchestre le plus novateur d’Europe (« une armée de généraux », disait le Docteur Burney), Franz Ignaz Beck (1734-1809) fit la majeure partie de sa carrière en France, notamment à Bordeaux. C’est pour cette ville, un an avant l’inauguration du Grand Théâtre, qu’il composa cette Isle déserte (1779), opéra-comique dont le livret français – dû à l’obscur Comte d’Ossun – constituait une adaptation de L’Isola disabitata de Métastase. Exactement la même année, Haydn mettait en musique ce même livret (en italien) pour un ouvrage expérimental dont nous avons chroniqué il y a peu la dernière version enregistrée. Il est difficile de comparer les partitions de Beck et de Haydn, étant donné la diversité des esthétiques dont elles relèvent, mais avouons que le moins connu des deux compositeurs ne démérite nullement et, comme Haydn, ne peut cacher sa dette à l’égard de Gluck. Le présent disque, qui offre les douze numéros musicaux tout en omettant les dialogues parlés, promet beaucoup dans ses plages liminaires : l’inventive ouverture, avec ses effets dynamiques propres à l’école de Mannheim, son premier thème sinueux et mystérieux et les railleuses interventions finales du basson, séduit sans coup férir, ses phrasés et coloris étant magnifiquement servis par La Stagione. La première aria, dévolue au personnage seria de Constance, éblouit tout autant, avec son thème nostalgique pour hautbois et ses intervalles impérieux. Un rien métallique, Labin s’y montre néanmoins fort convaincante, comme elle l’est encore dans sa scène finale aux sujets chromatiques, une page fiévreusement préromantique. Hélas, cela se gâte avec les trois autres interprètes (une seconde soprano et deux ténors), qui maîtrisent mal notre langue, dont ils avalent les consonnes et pincent les voyelles : le duo Laurette/Sainville pâtit particulièrement de ce sabir et ces deux voix apparaissent bien légères. Comme dans Les Pèlerins de la Mecque (1763) de Gluck, le rôle le plus difficile échoit ici au premier ténor (la notice parle de haute-contre mais la tessiture semble trop grave pour employer ce terme) : Browne se sort avec un certain panache des vocalises de « L’amour éprouve mon âme », mais avec un peu moins d’aisance du sostenuto de son grand air avec cor solo « Epargne à ma misère » - et le français reste allusif… On saluera néanmoins la découverte d’une fort jolie partition, dirigée avec verve et finesse, qu’on aimerait (ré)entendre chantée par des francophones.

Olivier Rouvière