Michael Fabiano (Faust), Erwin Schrott (Méphisopheles), Irina Lungu (Marguerite), Stéphane Degout (Valentin), Carole Wilson (Marthe), Marta Fontanals-Simmons (Siebel), Chœurs et orchestre du Royal Opera House Covent Garden, dir. Dan Ettinger, mise en scène David McVicar / Bruno Ravella.
Opus Arte 2 DVD OA13300. 2019. 2h58’. Distr. DistrArt Musique.

On connaît ce Faust en vidéo depuis 11 ans déjà, puisque EMI (Warner depuis) avait publié en 2010 la captation de sa première série, en 2004, glorifiant la production de David McVicar qui est un peu au Covent Garden ce que fut longtemps à Paris celle de Jorge Lavelli. Servie qui plus est par une équipe majuscule qui alignait un Méphisto d’anthologie avec Bryn Terfel, un Faust qu’on ne peut que fêter, avec Roberto Alagna, une Marguerite pas toujours compréhensible, mais parfaite de raffinement vocal, avec Angela Gheorghiu, et au même niveau un Valentin de Simon Keenlyside et un Siebel de Sophie Koch splendides tous deux, équipe qu‘Antonio Pappano menait avec tout son instinct théâtral, elle reste donc en position de référence.

Fallait il alors le filmer à nouveau en 2019 ? La notion de témoignage du moment présent dit évidemment oui, quand cela permet l’accès, par le cinéma et la télévision, à un public plus vaste que celui d’une série en salle. Et le publier en DVD ? Là, la réponse est non, car il n’y a guère intérêt à pérenniser une version qui à une exception près, s’avère très inférieure à sa rivale. L’exception c’est, bien entendu, le Valentin de notre Stéphane Degout national, évidemment parfait, de chant, de style, de personnalité : il est l’évidence de chaque instant. Hélas, il est aussi le seul à pouvoir égaler son prédécesseur.

La production n’a pas pris une ride, avec son regard construit au prisme sombre d’un XIXe siècle hyperromantique, mais distancié, de ses décors mi-construits, mi-peints, ses costumes d’époque, son jeu théâtral tiré vers le style boulevard du crime. Mais si la ligne générale demeure, le détail s’est affadi, Bruno Ravella qui a assuré la reprise de la production originale ayant moins d’esprit et moins de causticité que McVicar. Le répertoire des gestes, des expressions, la prise en charge de l’interprétation, les changements de certains costumes (Faust, Méphisto), tout parait plus sommaire, moins vécu : cela sent la reprise moins soignée. C’est aussi que les acteurs sont moins intéressants. À commencer par Michael Fabiano, peu expressif, souvent laissé à lui-même, comparé à Alagna. Même défaut chez Irina Lungu, dont le sourire trop permanent ne s’accorde pas à la situation dramatique. Pour Erwin Schrott, c’est l’excès d’expression qui gène, celui d’un histrion vulgaire plus que d’un grand acteur qui domine. Là encore, la comparaison à Terfel est éclairante. Un catalogue de stéréotypes face aux moyens d’un acteur inspiré.

Et le chant ne donne pas de meilleurs signaux. Fabiano a beau être brillant, et d’un français châtié, son Faust souffre d’un chant un peu trainant, et d’un aigu qui paraît vite forcé, et se décolore dans le timbre. Lungu, plutôt séduisante au début, force bientôt son instrument, avec des incertitudes de tenue qui à force de se répéter en deviennent gênantes. Et elle passe indifférente à travers la scène de l’Église et le final ! Schrott a certes un grave abyssal, et un instrument puissant et sonore, mais il force partout, impose un accent aussi marqué qu’un Boris Christoff autrefois, sans son génie du mot, inacceptable aujourd’hui, des nasalités, des maniérismes de grand guignol vocal que la seule présence face à lui de Degout suffit à disqualifier. Les chœurs sont assez peu compréhensibles, mais au moins chantent-ils bien, l’orchestre sait son Gounod, mais la battue de Dan Ettinger manque de légèreté et d’élévation. Définitivement, voici un DVD dont on pourrait se passer, s’il n’y avait son Valentin.


Pierre Flinois