Julie Martin du Theil (Sandrina), Bernard Richter (le jeune comte Belfiore), Anett Fritsch (Arminda), Krešimir Špicer (le podestat), Lucia Cirillo (Don Ramiro), Giulia Semenzato (Serpetta), Mattia Olivieri (Nardo). Orchestre de la Scala, dir. Diego Fasolis. Mise en scène : Frederic Wake-Walker (11 octobre 2018).

Naxos  2110689-90. (2 DVD). 2h59’. Présentation et synopsis en anglais et en italien. Distr. Outhere.

Filmée à la Scala en octobre 2018, cette Finta giardiniera est une reprise d'une production créée quatre ans plus tôt au Festival de Glyndebourne. Sans doute pour essayer de rendre plus compréhensible une action terriblement enchevêtrée, on a coupé quatre numéros de la partition et déplacé trois airs selon une logique qui nous échappe complètement. Car le dramma giocoso, réduit ainsi à une durée de trois heures, demeure toujours aussi bancal sur le plan dramaturgique... Cela dit, la mise en scène de Frederic Wake-Walker offre une lecture originale qui, à défaut d'être pleinement satisfaisante, met en avant le caractère artificiel d'une intrigue dans laquelle l'absence de véritable profondeur psychologique se traduit à maintes reprises par une gestuelle d'automate. Privés d'identité propre, les protagonistes ne sont ici que des pantins dont le gosier vient nous déverser la délicieuse musique d'un Mozart tout juste âgé de dix-neuf ans. Si le procédé est amusant, il finit toutefois par devenir assez vite lassant. Qu'on ne cherche pas ici de bosquets fleuris ou d'allées verdoyantes : les personnages évoluent dans un décor rococo pouvant évoquer le pavillon de chasse d'Amalienburg (dans le domaine de Nymphenburg), mais cet élégant salon menace ruine, comme en témoignent les importantes lézardes et morceaux de plâtre qui tombent du plafond. Pour bien nous rappeler que tout est faux dans cette histoire alambiquée, le deuxième acte se déroule dans la même pièce, mais le décor est cette fois-ci peint sur des toiles que les personnages vont progressivement déchirer et reléguer dans les coulisses pour se retrouver sur un plateau presque complètement vide où le tableau d'arrière-scène évoque quelques arbres au loin. C'est dans le finale de ce deuxième acte, où le génie mozartien transcende la confusion dramatique, que Wake-Walker offre probablement sa direction d'acteurs la plus intéressante.

À la tête d'un orchestre jouant sur instruments d'époque, Diego Fasolis propose une lecture pleine de contrastes, fougueuse et dépouillée de toute afféterie. Une certaine grâce fait cependant défaut dans les pages les plus extatiques. À l'exception du podestat de Krešimir Špicer, au chant contraint et dont la voix ne réussit jamais à s'épanouir, la distribution s'avère d'un très bon niveau. Ce sont à vrai dire les deux serviteurs, Serpetta et Nardo, qui retiennent d'abord l'attention et éclipsent jusqu'à un certain point les principaux rôles. Giulia Semenzato et Mattia Olivieri brillent en effet par leur jeu primesautier et leur parfaite maîtrise vocale. Le baryton est particulièrement hilarant dans l'air « Con un vezzo all'italiana », où il imite respectivement les accents italiens, français et anglais. Très convaincant en Belfiore, le jeune comte que le metteur en scène montre pendant l'ouverture en train de battre sa compagne Violante, Bernard Richter se distingue par la clarté de son timbre, son sens du phrasé et la force de son incarnation. Laissée pour morte, la marquise Violante, alias Sandrina (la fausse jardinière du titre), trouve en Julie Martin du Theil – remplaçant au pied levé Elisabeth-Hanna Müller – une interprète sensible qui révèle la pleine mesure de son talent dans la grande scène dramatique du deuxième acte, où elle se lance avec ardeur dans les deux magnifiques airs « Crudeli, oh Dio ! Fermate » et « Ah ! Dal pianto, dal singhozzo ». La mezzo Lucia Cirillo n'a guère l'occasion de se faire valoir dans le rôle de l'inconsistant chevalier Ramiro, mais son air passionné du troisième acte (« Va pure ad altri in braccio ») la montre sous son meilleur jour. Arrogante à souhait, Anett Fritsch est enfin une Arminda superbe d'intonation dans « Vorrei punirti indegno ». Tant de qualités réunies font de cette captation une version en somme très recommandable.

Louis Bilodeau