Leonardo Capalbo (Candide), Jane Archibald (Cunégonde), Anne Sofie von Otter (The Old Lady), Sir Thomas Allen (le Narrateur, Dr Pangloss), London Symphony Orchestra and Chorus, dir. Marin Alsop (live 2018).
LSO live LSO0834 (2 SACD). 1h57’. Distr. Harmonia Mundi.

Sous sa liberté gentiment iconoclaste de ce Candide se cache une critique du maccarthysme, qui répandait sur l’Amérique des années cinquante un climat délétère. Mais si l’accueil de la première version fut mitigé à Broadway, c’est peut-être davantage pour une question de forme que de fond. Œuvre fleuve ayant fait l’objet de nombreux remaniements pour arriver à son format définitif, elle pouvait dérouter le public habitué aux musicals par son statut hybride entre opéra, opérette et comédie musicale. On ne saurait donc en vouloir à Marin Alsop de nous proposer ici une version très équilibrée de l’œuvre, conciliant ses facettes complémentaires.
De façon significative, Thomas Allen met moins l’accent sur la dimension théâtrale de son rôle double que ne le fait Adolph Green dans la version discographique qui fait aujourd’hui encore référence (DG, 1992). Bien qu’il reste un narrateur truculent et adopte pour l’optimiste docteur Pangloss une rugosité toute buffa, le baryton garde cependant le contrôle des modulations de timbre.
Si la musique de Bernstein compte pour beaucoup dans la cohésion d’un spectacle issu de multiples collaborations concernant notamment la trame narrative et les lyrics, mais aussi les orchestrations, les voix des interprètes principaux contribuent autant à l’unité qu’à la fluidité de cet enchaînement de scènes voyageuses. Le ténor Leonardo Capalbo dote son Candide d’un lyrisme détendu, proche de la comédie musicale et parfois même de la variété, mais on sent chez lui un habitué des grands rôles seria. La Cunégonde radieuse incarnée par Jane Archibald reflète elle aussi l’optimisme voltairien. La soprano rayonne sur tout l’opéra, magnifique dans le célébrissime « Glitter and be gay », où le mi bémol final, qui fait d’ailleurs l’objet de réplique parlée suivante, donne une idée de son aisance dans les confins de l’aigu. Mais sa prestance souveraine ne l’empêche pas de basculer pour les besoins de la comédie dans un registre plus castafioresque.
« Old lady », Anne Sofie von Otter l’est peut-être un peu par certains aspects d’une voix qui a perdu de sa souplesse, mais son charisme et l’énergie dont elle charge son personnage font mouche, particulièrement dans ce type de production. Affecté à des rôles multiples, le reste du casting témoigne d’un même entrain et on apprécie notamment une Paquette assez extravertie (Carmen Artaza), un Maximilian d’une remarquable souplesse vocale (Marcus Farnsworth), et les accents croustillants que Frederik Jones inflige à l’inquisiteur puis au Prince Ragotski. Dans cette œuvre où l’humour, parfois potache, donne le cap, il serait malvenu que les interprètes fassent dans la demi-mesure. Mais le grand professionnalisme de l’équipe, le fonctionnement impeccable des ensembles et des chœurs ainsi que le l’équilibre de l’orchestre maintiennent une tenue digne du meilleur de la comédie musicale.
 

Pierre Rigaudière