Extraits d’Emilia di Liverpool (Donizetti) : Joan Sutherland (Emilia), William McAlpine (colonel Tompson), Hervey Alan (comte Asdrubale), Denis Dowling (Claudio), April Cantelo (Bettina), Royal Liverpool Philharmonic Orchestra, dir. John Pritchard (BBC, 8 septembre 1957). Airs de Donizetti, Verdi, Haendel et Bellini (1959-1960).
Cameo Classics CC9133. Notice en anglais. Distr. Outhere.

En 1986, l’enregistrement de studio d’Emilia di Liverpool (opéra semiseria de Donizetti créé en 1824) paraissant en LP chez Opera Rara (dir. David Parry, rééd. CD en 2006) devenait référence : par la richesse du travail éditorial qui l’entourait (le coffret contient aussi l’autre version de l’ouvrage, remaniée en 1828 et alors intitulée L’eremitaggio di Liverpool) comme par sa distribution de premier rang (Yvonne Kenny, Sesto Bruscantini, Chris Merritt). Jusque-là, seule la diffusion radiophonique de la BBC en septembre 1957 permettait de documenter l’œuvre, en tout cas de larges extraits de la partition « rapiécés » par une narration parlée, signée de l’acteur Bernard Miles. Cette narration avait servi, le 12 juin précédent, au Liverpool Music Group, lors d’une représentation en concert de l’opéra participant aux commémorations du 750e anniversaire de la fondation de la ville, permettant ainsi la redécouverte de la partition après 130 ans d’oubli. En septembre, la BBC affichait une jeune soprano australienne méconnue dans le rôle-titre, et la direction de John Pritchard. Précisons que, en dépit de son titre, l’Emilia de 1957 (à Liverpool comme à la BBC) est un Eremitaggio, avec son livret de 1828 amplement modifié par Giuseppe Checcherini et ses nouvelles pages musicales, dont l’aria finale venue d’Alahor di Granata.

Jadis publié de façon marginale, l’enregistrement de la BBC paraît désormais chez Cameo – y compris sa présentation radiophonique par Fritz Spiegl –, soigneusement édité. Ce n’est évidemment pas là une version « de référence » de l’opéra de Donizetti : la partition est réduite à des extraits accolés en digest, les interventions narrées empêchent toute illusion théâtrale de s’installer, et l’italianità n’est pas le fort de la plupart des interprètes, à commencer par le baryton trémulant de Denis Dowling, qui n’a pas la moindre idée de ce qu’est un r roulé, ou par le bien faible chœur du Liverpool Music Group. Hervey Alan se distingue à l’inverse par son mordant et son idiomatisme, donnant beaucoup de saveur au personnage buffo d’Asdrubale, même si manquent ici ses interventions parlées en dialecte napolitain. Mais on n’a d’oreilles que pour l’Emilia de Joan Sutherland, le fruit et la lumière de son timbre, son mélange de grâce liquide et d’autorité impérieuse, son fiorito de colibri et ses suraigus de comète.

Avec bonheur, Cameo Classics complète ce programme de multiples extraits de la jeune Sutherland en scène ou en concert. Parmi eux, le souvenir de sa première et glorieuse Lucia di Lammermoor à Covent Garden en février 1959, dans la nouvelle production de l’opéra mise en scène par Franco Zeffirelli et dirigée par Tullio Serafin, avec une scène de la Folie d’anthologie. Mais aussi deux versions de « Regnava nel silenzio », l’une plus intimiste, l’autre plus démonstrative : à la radio en mai 1959 (dir. George Hurst), aux Proms un an plus tard (dir. Malcolm Sargent). Des mêmes sessions de la BBC 1959 provient le pétillant boléro des Vespri siciliani ; des mêmes Proms, deux airs d’Alcina (« Di cor mio », planant de pure beauté vocale, et « Tornami a vagheggiar », calligraphique) lors de la soirée dirigée par Sargent et, quelques jours plus tôt, la Folie d’Elvira dans les Puritani (dir. Basil Cameron).

Une galette incontournable pour les admirateurs de la Stupenda, et un document précieux quant à l’histoire de la Donizetti Renaissance.

Chantal Cazaux