Francesca Lombardi Mazzulli (Orfeo), Emanuela Galli (Euridice), Paola Valentina Molinari (Aristeo), Mauro Borgioni (Satiro), Alessandro Giangrande (Momo, la Vecchia), Alessio Tosi (Endimione, Apollo), Clarissa Reali (la Nutrice, Giunone), Arianna Stornello (Venere, Proserpina), Rocco Lia (Plutone, Augure), Allabastrina, dir. Elena Sartori.
Glossa 923903 (3 CD). 2019. 4h. Notice en français. Distr. Harmonia Mundi.

Rectifions d’emblée l’assertion d’Elena Sartori, qui prétend signer ici le premier enregistrement de l’œuvre – gravée par William Christie chez Harmonia Mundi dès 1990, dans une édition comparable (Sartori restitue quelques danses supplémentaires, tout en supprimant les interventions finales du chœur). Plus récemment est aussi parue en DVD (toujours chez Harmonia Mundi) la réalisation scénique de Jetske Mijnssen et Raphaël Pichon, chroniquée dans nos pages. Quoi qu’il en soit, le premier opéra italien composé pour la cour de France, en 1647 (Louis XIV n’avait alors que neuf ans), méritait bien plusieurs lectures ; mais il est peu probable que la nouvelle venue nous en donne une idée très juste. Avec sa trentaine de rôles, sa bataille inaugurale, ses machines, divinités, allégories, satyres, fantômes, ballets et chœurs, la tragicomedia en trois actes et vingt-cinq scènes de Rossi est une œuvre imposante, faite pour frapper l’imagination des Français. Sartori en propose une version “de chambre”, pour solistes seulement, dans laquelle le consort des violes et violons (ponctuellement remplacés par flûtes et dulciane) n’intervient que lors des ritournelles. Jusque-là, cette vision se défend, même si l’attribution de plusieurs personnages à un seul chanteur brouille passablement la compréhension de l’œuvre. D’autant qu’Alessio Tosi, par exemple, se voit invité à assumer, à la fois, la tessiture de ténor grave d’Endimione et celle d’alto d’Apollo, tandis qu’Alessandro Giangrande doit aussi changer de placement vocal pour passer du rôle de la Vieille (ténor aigu) à celui de Momo (baryton)! Mais il est vrai que ces deux séduisants artistes se tirent assez bien de l’imbroglio, et que d’autres (notamment Francesca Lombardi Mazzulli) parent leurs rôles d’une chaleur méditerranéenne qui manque parfois à la version Christie. Ce n’est pas tant la fragilité des interprètes secondaires que la pâleur du soutien harmonique qui rend la lecture de Sartori peu convaincante, d’un ascétisme à la limite du contresens. Les petits théâtres vénitiens eux-mêmes proposaient un continuo plus fourni que celui qui intervient ici : Christie y enrôlaient douze musiciens, Sartori n’en offre que... trois (qui, jusqu’au finale, ne jouent jamais ensemble) ! Peut-on imaginer que des scènes entières d’un opéra de cour aient pu être ainsi accompagnées par un seul instrument – le plus souvent le clavecin ? Malgré le talent du claviériste Filippo Pantieri, la richesse du vocabulaire musical de Rossi, la variété de ses canzonette et ensembles, cette réalisation arbitraire nous évoque furieusement les “steppes du récitatif” dénoncées par Romain Rolland.


Olivier Rouvière