Julia Sophie Wagner (Elena/Riccardo), Daniel Ochoa (Costantino), Mira Graczyk (Paolino/Adolfo), Niklas Mallmann (Carlo), Markus Schäfer (Edmondo), Anna-Doris Capitelli (Anna), Anna Feith (Ernesta), Fang Zhi (Governatore), Andreas Mattersberger (Urbino), Chœur Simon Mayr, Concerto de Bassus, dir. Franz Hauk.
CD Naxos 8660462-63 (2 CD). 2021. Durée 2h30. Notice en anglais et en allemand. Distr. Outhere.


Si l'on en croit Stendhal qui l'entendit en 1816 lors de sa reprise milanaise, Elena, dramma eroico-comico créé au Fiorentini de Naples en 1814, ne vaudrait que pour son sextuor du deuxième acte, "morceau de génie que le vieux Mayer (sic) a gardé de sa jeunesse, ou qu'il a pillé quelque part", où se dénoue une action un peu chantournée qui convoque pas moins de dix personnages dont sept au moins sont pourvus d'un air. Les neuf numéros restant étant de beaux ensembles (deux duos, deux trios, un quatuor, un grand finale et un vaudeville auxquels s'ajoute une superbe ouverture) qui impliquent le reste de la distribution. Pourtant cette partition qui mélange les registres bouffe et pathétique et dont le style semble en permanence à cheval entre l'héritage mozartien et le belcanto à la Rossini, ne laisse pas d'étonner par sa richesse, tant mélodique qu'orchestrale et par son invention formelle, se révélant au final très séduisante jusque dans son éclectisme. L'intrigue de Tottola, typique des opéras à sauvetage français, s'inspire du livret de Bouilly pour un opéra homonyme de Méhul. Elle met en scène Elena qui a du fuir sa patrie, séparée de son mari le Duc de Tarascon Costantino accusé du meurtre de son père et s'est réfugiée, déguisée en homme, chez le fermier Carlo – un napolitain installé à Arles ! – rôle dialectal destiné au fameux bouffe Carlo Casaccia. Autour de ce trio central gravite tout un petit monde paysan, les deux filles de Carlo et son berger Urbino ainsi que Paolino, l'enfant caché de l'héroïne. Au deuxième acte, le contexte change tout à fait et apparait alors le deus ex-machina de l'affaire, le Duc Edmondo, flanqué de son gouverneur et de ses soldats dont l'intervention va conduire au "lieto fine" qui suit immédiatement le fameux sextuor. Malgré l'abondance du récitatif sec (ici bien écourté), un démarrage un peu conventionnel avec quelques numéros sans intérêt pour l'intrigue elle-même, on est captivé dès l'entrée en scène des protagonistes par cette improbable action et la subtilité avec laquelle le compositeur utilise les stéréotypes du genre pour créer une œuvre tout à fait originale. Une fois de plus, Franz Hauk à la tête de son Concert de Bassus et du chœur Simon Mayr révèle toute la vitalité et le charme de la musique de Mayr. D'une distribution très homogène et parfaitement en phase avec les exigences d'une écriture vocale souvent virtuose, on distinguera la soprano Julia Sophie Wagner touchante dans le rôle-titre, l'excellent Costantino de la basse noble Daniel Ochoa, et les deux ténors, le jeune Fang Shi et le vétéran Marcus Schäfer. Il manque sans doute à Niklas Mallmann un peu de gouaille pour son rôle bouffe mais son "napolitain" est plutôt convaincant. Les autres rôles, plus épisodiques sont assurés avec compétence et contribuent à faire de cette rareté, une authentique découverte qui, après Le Due Duchesse, laisse à penser que Mayr était particulièrement doué pour le genre semiseria.

Alfred Caron