Éléonore Pancrazi (Sémiramis), Emmanuelle de Negri (Amestris), Mathias Vidal (Arsane), Thibault de Damas (Zoroastre), David Witczak (l’Oracle), Judith Fa (une Babylonienne, une Prêtresse), Clément Debieuvre (un Babylonien, un Génie), Choeur du Concert spirituel, Les Ombres, dir. Margaux Blanchard et Sylvain Sartre.
Château de Versailles-Spectacles CVS 038 (2 CD). 2020. 2h08. Notice en français. Distr. Outhere.

Voici le troisième opéra d’André Cardinal Destouches (1672-1749) à paraître au disque, après Callirhoé (Niquet, Glossa, 2006) et Issé (Bestion de Camboulas, Ambronay, 2018). La découverte nous aide à mieux cerner l’art de ce « mousquetaire compositeur », adoubé par Louis XIV comme par le Régent, qui le fait Surintendant de la Musique de la Chambre du Roi en 1718 (alors que Louis XV n’a que 8 ans). Mais l’on ne s’étonne pas, à l’écoute, que Sémiramis, sa dernière tragédie en musique créée en cette même année 1718, n’ait pas connu le succès, malgré ses qualités. En un temps où s’impose la veine italianisante, Destouches perpétue la grande manière lulliste, non sans y apporter des modifications : la première est l’abandon des cinq parties de cordes jusqu’ici de rigueur ; la seconde, qui frappera davantage l’auditeur, est la drastique réduction du récitatif « simple ». La musique de Destouches apparaît en effet fort « écrite », presque trop, multipliant les carrures, rythmes et coupes, marquant une prédilection pour les basses chromatiques – qui, par exemple, sous-tendent le beau duo des amants ouvrant l’Acte II ou le lamento alla vénitienne de Tamestris « J’immole aux dieux ». Les « airs » sont nombreux mais brefs et modulants, parfois introduits par de frappantes symphonies (« Terrible rempart des enfers » de Zoroastre, « Où suis-je ? » d’Arsane), mais les danses ne possèdent pas la prégnance mélodique de celles de Campra. En somme, cette musique était sans doute trop recherchée pour son époque frivole, tandis que le plat livret de Roy (où on ne trouve pas moins de trois cérémonies interrompues par des bruits, tonnerre ou orages divers) ne peut rivaliser avec la tragédie homonyme et contemporaine de Crébillon. Les Ombres, rassemblant un effectif probablement plus modeste que celui de la création, cisèlent avec beaucoup de goût, d’accents et de variété cette partition touffue, qui pourrait parfois être empoignée avec plus de vigueur (divertissement infernal) ou aérée de davantage de silences. L’orchestre est ravissant, le chœur, très sollicité, se montre efficace mais un peu criard côté dames. En revanche, chez les solistes, les dames bouleversent : Pancrazi campe une Sémiramis au mordant magnifique, éloquente, pleine d’autorité jusque dans les vocalises de « Triomphez, dieu puissant » ; de Negri une Amestris toute de pudeur (quelle merveille que son aveu amoureux de l’Acte IV !), de tendresse et de sensibilité. Au dernier acte, leurs adieux respectifs opposent idéalement ces deux belles figures féminines. Les messieurs convainquent moins : Vidal, trop fébrile, semble chanter toujours forte, et l’émission assez plate et pharyngée de Damas ôte quelques couleurs à son Zoroastre. Péchés véniels pour une parution qui contribue à éclairer la passionnante période séparant Lully de Rameau.

Olivier Rouvière