Raymond Very (Don Juan), Iris Vermillon (La Morte), Stephanie Friede (Eine Frau, Eine Nonne, Margarethe, Donna Anna), Gabriela Bone, Nina Bernsteiner, Anna Peshes, Christa Ratzenböck, Hermine Haselböck, Elisabeth Wolfbauer (Die Frauenschatten), Salvador Fernandez-Castro (Der Komthur), Karl-Michael Ebner (Pulcinella), Andreas Jankowitsch (Pantalone), Arkus Raab (Harlekin), Arnold Schoenberg Chor, ORF Vienna Radio Symphony Orchestra, Bertrand de Billy (Vienne, Theater an der Wien, 14 aout 2006).
Capriccio C5382 (2 CD). Distr. Outhere.

Notturno : sur un solo de flûte vient se poser la voix d’une des Ombres, ces femmes suicidées par amour à cause du pouvoir magnétique de Don Juan. Jamais un opéra commença ainsi avant Flammen, et aucun autre après d’ailleurs. Les fantômes des amours passés hantent le séducteur que la Mort, amoureuse elle aussi, poursuit avec un acharnement tranquille. Interlude d’orchestre aux textures bergiennes, on se croirait dans Lulu, Don Juan pénètre dans une maison d’où s’échappe un cri de volupté : l’auteur de la Sonata Erotica sait comment faire.

Don Juan ou Faust ? Schulhoff, de sa propre plume, ajoute au drame de Beneš une scène ou paraît Marguerite. Max Brod lui aura fait lire ce texte étonnant, avec son Don Juan capable de craindre un châtiment pire que la mort : le Commandeur l’affligera d’une jeunesse éternelle, sa quête éperdue ne connaitra pas de terme.

Venu trop tard pour paraitre sur une scène allemande – en 1929 Erich Kleiber, qui pourtant avait créé l’année précédente la 7e Symphonie, ne pouvait plus rien pour Flammen, d’autant qu’un lecteur mal intentionné chez Universal s’employa à savonner les efforts du chef – l’ouvrage connaitra un création minimaliste à Brno, sous la direction de Zdenek Chalabala, Schulhoff acceptant de resserrer son opéra en un acte sans que cela lui occasionne de cas de conscience : il avait le ciseau facile, doublé d ‘un certain sens pratique.

On sait la suite, l’internement du compositeur au camp de Würzburg, le typhus, la mort, après guerre l’ouvrage enfoui dans les archives d’Universal dont il n’émergera qu’en 1994 à la faveur de la série Entartete Musik suscitée par Decca, John Mauceri exhumant la version originale en langue allemande

Stupeur et tremblement, à l’égal du Verlobung in Traum de Krasa comme du  Sarlatan de Haas, Flammen constituait un apport majeur à l’histoire de l’opéra des années vingt. Schulhoff y effectuait, dans sa langue si singulière, une synthèse entre le théâtre de Janacek - la thématique de Flammen et jusqu’à un grande part de sa structure, dramatique comme musicale, font écho à L’Affaire Makropoulos - et la trépidante création lyrique germanique de l’entre-deux-guerres, du Jonny spielt auf de Krenek quasi contemporain (l’orchestre de bordel du Troisième tableau de l’Acte 1 et son fox-trot) aux drames onirique de Franz Schreker. La singularité de sa langue, le brasier de ses sonorités, l’imagination délirante du livret, la suractivité du tout appelaient la scène. À l’automne 2006, le Festival Klangbogen rendait la partition à son théâtre, Keith Warner saisissant avec brio et profondeur cet ovni lyrique. Capriccio en publie aujourd’hui l’écho sonore capté avec brio par l’ORF.

Fabuleuse direction de Bertrand de Billy, acide, virtuose, grouillante, poétique aussi jusqu’à l’étrange, qui emporte le Don Juan ténor de Raymond Very dans sa quête inutile, au milieu de ce charniers d’amours défunts, où La Mort d’Iris Vermillon, rescapée de l’enregistrement Decca, malgré la chaleur voluptueuse de son timbre intact, ne saura détourner l’objet de sa flamme d’un nouveau coït : Don Juan pénètre encore une fois dans la maison du plaisir où l’opéra l’avait au début saisi, le cercle se referme. Qu’une telle œuvre n’ait pas retrouvé les chemins des théâtres depuis ces représentations viennoises demeure un mystère…

JCH