Štefan Margita (Friedrich Wilhelm, Prince-électeur de Brandenburg), Helene Schneiderman (Princesse-électrice), Vera-Lotte Böcker (Princesse Natalie von Oranien), Robin Adams (Prince de Homburg), Michael Ebbecke (Maréchal Dörfling), Friedemann Röhlig (Colonel Kottwitz), Moritz Kallenberg (Comte d’Hohenzollern). Staatsorchester Stuttgart, dir. Cornelius Meister ; mise en scène : Stephan Kimmig. (Staatsoper, Stuttgart, 20 et 22 mars 2019).

Naxos 2.110668. Distr. Outhere. Présentation en anglais et en allemand. Sous-titres allemands, anglais, japonais et coréens.

 

On avait particulièrement apprécié, dans la publication CD de cette production du Staatsoper de Stuttgart captée en 2019, le trio de rôles clés de l’opéra Der Prinz von Homburg. On pouvait pressentir que le baryton Robin Adams, le ténor Moritz Kallenberg et la soprano Vera-Lotte Böcker, qui incarnent respectivement le Prince de Hombourg, son fidèle ami Hohenzollern et sa fiancée Natalie d’Orange, doublaient leur excellente prestation vocale d’une forte présence scénique. L’image le confirme, et rend évidente l’adéquation de leur projection vocale à la fois puissante et très fluide avec l’aisance qui transparaît dans leur façon d’habiter l’espace scénique.

On avait émis quelques réserves sur la tension – doublée d’une sensation de fragilité – qui mettait sur la défensive l’Électeur de Brandebourg (Štefan Margita) et son épouse (Helene Schneiderman), le premier étant pourtant censé incarner une autorité sans faille alors qu’il requiert une sanction exemplaire en réponse à l’insubordination de Hombourg. Le vibrato trop présent et les aigus quelque peu rigides du ténor et de la mezzo-soprano ne sont certes pas estompés par la vidéo, mais le charisme des deux chanteurs, qui réside dans un alliage d’humilité et d’intensité, tend à en faire l’expression d’un doute qui enrichit le profil psychologique de leur personnage.

Ingeborg Bachmann a en quelque sorte « démilitarisé » la pièce de Heinrich von Kleist, préférant exalter dans son livret les vertus morales auxquels aspiraient les deux créateurs pour une Allemagne des années cinquante avec laquelle ils étaient en butte. Henze s’identifie manifestement à un Hombourg épris de liberté et prêt à lui sacrifier sa vie, et Stephan Kimmig relaie cet idéal sur scène dans un esprit post-brechtien teinté d’un soupçon d’esthétique Regietheater. On pourra trouver didactique l’idée de faire arborer à l’Électeur un pull clamant en lettres capitales « Freiheit » (liberté), puis à Hombourg un tee-shirt griffé du même slogan, tandis que l’Électrice affiche un peu plus tard un « Wir » (nous) qui exprime peut-être une pensée plus collective que les egos de ses congénères masculins, et enfin que quatorze personnes exhibent lors du finale des écharpes devenues banderoles revendicatives assénant les mots-clés d’un idéal moral suggéré par le drame. Le moment où les officiers plongent les mains dans des seaux de sang pour s’en badigeonner le visage et le corps, présage des lourdes pertes humaines à venir, constitue une brève incursion dans une esthétique gore qui semble ici tenir de la posture. Mais l’ambiance de salle de sport qui domine l’ensemble de l’opéra fonctionne bien, d’autant qu’elle s’appuie sur un décor en forme de salle de douche collective défraîchie, à la fois sobre et capable, moyennant quelques compléments, de suggérer différents lieux. Cette relative économie de moyens se conjugue avec une direction d’acteurs bien rythmée.

Bien que passablement marquée par un expressionnisme sous influence de Schönberg, la musique de Henze adopte alternativement une emphase postromantique, des harmonies stravinskiennes ou un zeste de jazz, sans pourtant jamais se montrer inféodée à quelque esthétique que ce soit. Cette « Freiheit » que conquiert Hombourg est à n’en pas douter celle du langage musical pour laquelle il fallait lutter à l’orée des années soixante. Dans l’effervescence avant-gardiste de Darmstadt, tout le monde ne se serait pas permis la vocalise figuraliste de Hohenzollern sur « Lärche » (alouette).

La captation vidéo dirigée par Andy Sommer opte elle aussi pour une certaine sobriété, tout en favorisant la dynamique de plans variés qui mettent en valeur toutes les dimensions de la scène. Le jeu de réflexions dans une cloison de glaces munie de portes est joliment exploité, laissant entrevoir la direction d’un Cornelius Meister surplombant la fosse. On apprécie la plongée visuelle dans un orchestre dont le dynamisme et l’implication se voient autant qu’ils s’entendent. Pour découvrir ou redécouvrir les subtilités que recèle Der Prinz von Homburg, cette captation vidéo surclasse en tout point un simple CD.

 

Pierre Rigaudière