Stanislas de Barbeyrac (Max), Johanni Van Oostrum (Agathe), Vladimir Baykov (Kaspar), Chiara Skerath (Ännchen), Christian Immler (un ermite/la voix de Samiel), Anas Séguin (Kilian), Daniel Schmutzhard (Ottokar), Thorsten Grümbel (Kuno). Insula orchestra et chœur Accentus, dir. Laurence Equilbey. Mise en scène : Clément Debailleul et Raphaël Navarro (Théâtre des Champs-Élysées et Opéra de Rouen Normandie, 2019).

Erato 0190295109547 (1 CD + 1 DVD). Distr. Warner Music. Notes en français, anglais et allemand. Pas de livret. Pas de sous-titres.

Ce coffret comprend à la fois un CD et un DVD où l'on retrouve de très substantiels extraits du Freischütz enregistrés lors des représentations données en 2019 au Théâtre des Champs-Élysées et à l'Opéra de Rouen. L'ouverture et le numéro 13 (romance, récitatif et air d'Ännchen au troisième acte) sont présents uniquement sur le CD, tandis que plusieurs dialogues et le numéro 2 (trio avec chœur « Oh, diese Sonne ») sont inclus dans le DVD. Dans les deux cas, les numéros 4, 9, 11 et 14 sont absents. On peut certes regretter le choix de proposer deux versions tronquées plutôt qu'une intégrale, mais les éminentes qualités musicales de ce « Projet Freischütz » atténuent en grande partie nos réserves.

Le premier intérêt de ce coffret réside dans le très vif plaisir de pouvoir entendre la luxuriante partition de Weber jouée par des instruments anciens, ce dont même Harnoncourt nous avait privé - son splendide Freischütz de 1995 ayant été enregistré avec l'Orchestre philharmonique de Berlin. Grâce à l'Insula Orchestra, ce sont de nouvelles couleurs que l'on découvre, en particulier celles des bois et des cuivres, si importants ici. Rarement les appels de cors auront-ils sonné avec une telle vérité d'accents : l'univers de la chasse et l'atmosphère de la forêt fantasmée par le romantisme allemand apparaissent sous un jour plus envoûtant encore. Dès l'ouverture, Laurence Equilbey sait à merveille suggérer la rêverie un peu inquiète et entraîner sa phalange dans une fougue passionnée. D'une belle homogénéité, le chœur Accentus se hisse lui aussi à un très haut niveau et ne contribue pas peu au succès de l'entreprise.

La distribution évolue sur les mêmes cimes. Le Max de Stanislas de Barbeyrac se distingue par son chant fiévreux et l'ampleur de ses moyens. La richesse du timbre, l'endurance et la solidité des aigus n'interdisent pas de l'imaginer dans des emplois plus lourds, comme Lohengrin. La Sud-Africaine Johanni Van Oostrum est pour sa part absolument extraordinaire en Agathe : la voix de miel d'une belle rondeur sur toute la tessiture, le legato d'une tenue exemplaire et le phrasé toujours élégant sont ceux d'une artiste en état de grâce. À ses côtés, Chiara Skerath est une Ännchen pétillante à souhait et dépourvue de la mièvrerie trop souvent associée à la jeune parente d'Agathe. Le baryton-basse Vladimir Baykov possède quant à lui une voix puissante et légèrement râpeuse qui convient fort bien à Kaspar. Christian Immler, Anas Séguin et Daniel Schmutzhard laissent tous trois une excellente impression dans leurs rôles plus épisodiques.

Le DVD permet de voir les principales scènes d'un spectacle conçu par Clément Debailleul et Raphaël Navarro de la CIE 14:20. Également magiciens, les deux metteurs en scène réussissent à créer des illusions qui laissent pantois, car de nombreux personnages défient les lois de la gravité et évoluent comme s'ils étaient des automates téléguidés. Les deux hommes de théâtre jouent aussi en virtuoses des éclairages et des projections, mais se contentent trop souvent d'une simple mise en espace assez statique. Cela dit, ce nouveau Freischütz aux teintes rutilantes mérite de figurer en bonne place dans la discothèque de tout amateur de Weber.

 

Louis Bilodeau