Michael König (Lohengrin), Simone Schneider (Elsa von Brabant), Okka von der Damerau (Ortrud), Martin Gantner (Telramund), Goran Jurić (le roi Heinrich), Shigeo Ishino (le Héraut), Staatsorchester et Staatsopernchor de Stuttgart, dir. Cornelius Meister, mise en scène : Árpád Schilling (Stuttgart, octobre 2018).
BelAir BAC175 (2 DVD). Notes et résumé en français, anglais et allemand. Distr. Outhere.

 

Figure importante du théâtre contemporain, Árpád Schilling a mis en scène ce Lohengrin en 2018, soit l'année de son départ de la Hongrie, où le gouvernement de Viktor Orbán le considère comme un « ennemi public ». Sa vision épurée et quelque peu austère élimine complètement la dimension surnaturelle de l'ouvrage, dont l'action est transposée à notre époque au sein de ce qui ressemble à une grande entreprise dont Heinrich serait le président-directeur général. Dans un décor réduit à sa plus simple expression, le noir et le blanc dominent, en particulier sur le sol où l'on trace un cercle de craie au moment du duel entre Lohengrin et Telramund. Ce cercle, allusion limpide à la pièce Le Cercle de craie caucasien de Brecht et à la compagnie fondée par Schilling en 1995 (Krétakör), sera jusqu'à la fin de l'opéra le lieu où se déroulent les principales étapes du drame. Au deuxième acte, les choristes entourent sa circonférence de leurs vestes qu'ils retournent et dont la doublure bleue évoque un cours d'eau sinueux le long duquel on place plusieurs cygnes en peluche. Au dernier acte, c'est bien sûr à l'intérieur du cercle que se retrouve le lit nuptial et qu’Elsa pose les questions fatidiques à son nouvel époux. Dans cet univers, c'est le peuple qui choisit ses héros : loin d'apparaître comme par enchantement, Lohengrin est un quidam que la foule pousse contre son gré à l'avant-scène. Les Brabançons eux-mêmes décident du sort du « jugement de Dieu » en forçant Lohengrin à agir contre Telramund. Ce sont eux enfin qui désignent au dénouement celui qui règnera désormais sur leur duché.

Outre sa proposition scénique stimulante, cette production se distingue par ses éminentes qualités musicales. L'Opéra de Stuttgart possède un orchestre et un chœur absolument admirables avec lesquels Cornelius Meister développe à l'évidence une relation privilégiée. Sous sa direction élégante et pleine de contrastes, chaque pupitre sonne avec opulence, à commencer par les cordes qui font merveille dans le prélude du premier acte. Mention spéciale aussi aux cuivres qui, à l'exception de quelques accrocs parmi les instrumentistes sur scène, se hissent à un très haut niveau. Constant dans l'ardeur, la vaillance et l'homogénéité, le chœur mérite lui aussi une mention spéciale. Bien que son timbre nasillard puisse rebuter de prime abord, Michael König soigne son chant avec un tel luxe de nuances que son Lohengrin emporte sans peine notre adhésion. D'une solidité sans faille sur toute la tessiture, Simone Schneider est une Elsa capable d'alléger à volonté sa voix large et richement timbrée. Tranchant et vindicatif à souhait, Martin Gantner impose un Telramund à la voix percutante, particulièrement impressionnante dans les aigus. Il est bien apparié à Okka von der Damerau, Ortrud classieuse à la forte présence scénique et d'une parfaite probité musicale. Aussi imposant par sa stature que sa superbe voix de basse, Goran Jurić est un excellent Heinrich. Le Héraut souffre malheureusement de l'insuffisance ou de la méforme de Shigeo Ishino, dont la voix flanche au deuxième acte et qui ne vient pas saluer avec ses partenaires à la fin de la représentation. En dépit de cette erreur de distribution, on tient là une version d'un intérêt indéniable sur les plans scénique et musical.

 

Louis Bilodeau