Bruno Taddia (Bajazet), Filippo Mineccia (Tamerlano), Delphine Galou (Asteria), Sophie Rennert (Irene), Marina De Liso (Andronico), Arianna Vendittelli (Idaspe), Accademia bizantina, dir. Ottavio Dantone (2020).
Naïve OP 7080 (3 CD). 1h36’. Notice en français. Distr. Sequenza Com-Prod.

Le livret d'Agostino Piovene avait déjà inspiré un Tamerlano à Gasparini en 1711 et un autre à Haendel en 1724 lorsque Vivaldi s'en empara, en 1735, pour répondre à une commande du Teatro filarmonico de Vérone. Tenant à la fois le rôle de compositeur et celui d'imprésario, le Prêtre roux opta, comme souvent durant ces années 1730, pour la forme du pasticcio, lui permettant de faire (ré)entendre certains de ses propres airs mais aussi d'en emprunter à d'autres musiciens. Ces derniers morceaux, signés Hasse, Giacomelli et Riccardo Broschi, appartenaient au répertoire des divi de l'époque : le castrat Farinelli et la contralto Vittoria Tesi. Ils furent réservés aux rôles de Tamerlano, Irene et Andronico, tandis que Bajazet, Asteria et Idaspe héritaient des pages, anciennes ou nouvelles, signées Vivaldi. La partition de 1735 nous étant parvenue de façon lacunaire, les chefs désireux de l'aborder disposent d'une certaine marge de manœuvre pour « restituer » les airs manquants. En 2003, Fabio Biondi, à la tête d'une distribution quatre étoiles, en enregistrait chez Virgin une reconstitution de son cru, sous le titre d'Il Bajazet. La version de Dantone ne peut se soustraire à la comparaison. Si Dantone suit le plus souvent Biondi dans ses choix, il s'en écarte parfois, adaptant par exemple pour Asteria le célébrissime « Nel profondo » d'Orlando furioso, confiant à Tamerlano un bel extrait de la Nitocri de Giacomelli et à Idaspe une aria supplémentaire – laissons les spécialistes de Vivaldi juger du bien-fondé de ces options. Plus critiquables nous semblent les coupures, opérées aussi bien dans les récitatifs (pourquoi tronquer à ce point la toute première scène, cruciale ?) qu'à l'intérieur des da capo (le pyrotechnique « Qual guerrier in campo armato » est ainsi fort écourté). La chose se défend d'autant moins que nous ne sommes pas « sur le vif » et que l'enregistrement s'étale sur trois disques (contre deux chez Biondi).

La distribution de Dantone est de plus petit format que celle de son rival. Paradoxalement, ce n'est pas toujours pour le pire : si Mineccia n'a pas l'aisance de Daniels, si Taddia est un baryton court plutôt voué au genre bouffe alors que D'Arcangelo était une vraie basse, les fragilités vocales de ces deux interprètes confèrent à leurs personnages un caractère névrotique plutôt bienvenu. En revanche, Vendittelli n'a ni le chic, ni la précision de Ciofi, et De Liso reste assez pâle. Les meilleurs moments nous sont réservés par les figures féminines : Rennert ne possède peut-être pas l'implacable technique de Genaux, mais elle campe une Irene plus colorée et émouvante, tandis que Galou, un peu éprouvée par une tessiture grave, apparaît plus féminine que Mijanović. Côté orchestre, notre cœur balance aussi : Biondi, à la tête d'une Europa galante acérée, se montrait plus raffiné, mais Dantone, qui mise davantage sur l'élasticité féline de ses basses (écoutez le second mouvement de l'ouverture ou le superbe rebond d'« Amare un'alma ingrata ») apparaît plus théâtral. Au disque, Biondi conserve donc la tête mais, à la scène, Dantone se défendrait peut-être davantage...


Olivier Rouvière