Thomas Hampson (Lorenzo Da Ponte), Luca Pisaroni (Enzo, Da Ponte jeune), Chad Shelton (Patrick Kelly, etc.), Rihab Chaieb (Maria Malibran, Mozart, Nancy Da Ponte), Lauren Snouffer (Giuletta, etc.), Elizabeth Sutphen (Faustina, etc.), Orchestre et Chœur du Houston Grand Opera, dir. Patrick Summers (live 2019).
Pentatone PTC 5186857 (digital-only). 1h54. Notice en anglais. Distr. Pentatone.

Sa brève ouverture cristallise l’essentiel du substrat orchestral sur lequel repose The Phoenix. Nappes de cordes aux harmonies flatteuses mais assez peu denses, puis entrée plus rythmée et enjouée, et écriture imitative classicisante en carton-pâte. On est ici au carrefour de la « contemporary classical music » consensuelle, de la musique de film et de la comédie musicale. Ce réceptacle accueille l’écriture vocale très belcantiste de Tarik O’Regan, qui témoigne d’un bel artisanat à défaut d’une grande inventivité. Les amateurs de lyrisme seront abondamment servis, d’autant que le plateau réuni pour cette production de l’Opéra de Houston est de bon standing. Mais contre toute attente, le baryton Thomas Hampson, tête d’affiche à qui revient le privilège de ne chanter qu’un rôle, celui de Lorenzo Da Ponte, personnage central de l’opéra, peine à convaincre. Autant les airs intimistes où sa partie est contenue dans une dynamique et un registre médians – on en trouve notamment deux spécimens aux scènes 6 et 7, dans le premier cas avec le soutien du chœur – bénéficient d’un timbre chaleureux en parfaite adéquation avec le personnage, autant les situations musicales qui l’exposent davantage dans l’aigu engendrent bien souvent une tension et un vibrato excessifs. Dans ses nombreux duos avec Enzo (dans la famille Da Ponte, le fils), on pourra imputer autant à l’écriture qu’à l’interprète, lors de certains passages à l’unisson, un léger flou dû à une intonation imprécise autant qu’à l’hétérogénéité des timbres comme des vibratos. La comparaison est à l’avantage du baryton-basse Luca Pisaroni, dont la voix plus solide et homogène est pleinement cohérente avec le double rôle du jeune Da Ponte et du fils Da Ponte.

Privilégiant l’esprit buffa, le ténor Chad Chelton embarque ses six personnages vers la rive comédie musicale de ce long fleuve opératique. Ce faisant, il met en exergue le défi que représentent pour les interprètes ces rôles multiples qu’une musique assez peu typée n’aide pas à différencier, l’ensemble des personnages restant plutôt fades. Exception notable, Rihab Chaieb est assez polyvalente pour camper une Malibran à la fois charismatique et dotée d’un certain sens de l’humour et, avec la même voix de mezzo-soprano, pour incarner un Mozart au visage bien différent. La fugacité de leurs rôles secondaires fait que Lauren Snouffer et Elizabeth Sutphen restent surtout cantonnées, en tant que Giulietta et Faustina, à l’image un peu caricaturale de la soprano de petite maison d’opéra. L’effet est d’abord rafraîchissant, puis finit par apparaître comme un simple prétexte à la multiplication de vocalises virtuoses.

Le livret de John Caird est profus. Sorte de biopic à tendance didactique, il multiplie les scènes biographiques dont toutes n’étaient peut-être pas indispensables. Plus cumulative que ramifiée, l’intrigue foisonnante – la mise en ligne du livret ne serait pas superflue étant donné le nombre de rôles et de langues – morcelle la musique autant qu’elle distend la dramaturgie. Le sujet, et avec lui l’inévitable référence à Mozart, justifiait-il vraiment ces longues plages de recitativo secco, au demeurant bien tenues au pianoforte par Patrick Summers lui-même, où le pastiche mozartien est à peine stylisé ? Cette inflation de récitatifs – parfois accompagnés par des nappes de cordes minimales –, d’airs et d’ensembles dont la justification dramaturgique peut laisser sceptique semble répondre bien souvent aux besoins du chant pour le chant. Le public applaudit d’ailleurs volontiers à la fin des airs et ensembles. Comme les récitatifs où se croisent de nombreux personnages, les passages avec chœur et solistes souffrent à plusieurs reprises d’une texture brouillonne soulignée par un manque d’homogénéisation des timbres. Le chœur du HGO sonne avec une belle rondeur, mais est souvent cloîtré dans un style qui rappelle le mainstream choral baltico-scandinave, auquel il n’échappe guère que pour des passages en latin façon Orff ou une fugue qui n’a pas la finesse de celles de Stravinsky. De même, la sonorité flatteuse de l’orchestre maison donne envie d’entendre davantage qu’un pastiche dix-huitiémiste ou un écho harmonique de John Adams, dont l’orchestration, en dépit de l’assistance d’Anthony Weeden, n’a pas l’efficacité de son probable modèle, et aboutit trop souvent à des fins de scènes en style pompier. Ce Phoenix constitue un divertissement pas dépourvu de qualités, mais dont il est peu probable qu’il renaisse sur une scène européenne.


Pierre Rigaudière