Jonas Kaufmann (Ekkehard), Nyla van Ingen (Hadwig), Susanne Kelling (Praxedis), Henryk Böhm (Spazzo), Jörg Hempel (le comte de Montfort), Alfred Reiter (Watzmann), Christian Gerhaher (Rudimann), Mihoko Fujimura (la Femme des bois), Orchestre de la Radio SWR de Kaiserslautern et Stuttgarter Choristen, dir. Peter Falk (1998).
Capriccio C5392 (2 CD). Notice en allemand et en anglais, pas de livret. Distr. Outhere.


Compositeur originaire de Bohême, Johann Joseph Abert (1832-1915) fut associé toute sa vie à la cour royale de Stuttgart où, après avoir été contrebassiste, il devint maître de chapelle de 1867 à 1888. De ses six opéras, la postérité n'a guère retenu que Ekkehard, créé à Berlin en 1878 avec notamment la fameuse Lilli Lehmann en Praxedis. À partir du roman du même nom publié en 1855 par Joseph Victor von Scheffel (1826-1886), le livret gravite autour de la figure historique d'Ekkehard Ier, qui fut moine à Saint-Gall au Xe siècle et aurait peut-être écrit la chanson de geste Waltharius. Dans l'opéra, cet érudit lecteur de Virgile éprouve un amour partagé pour la duchesse Hadwig de Souabe et se distingue par ses hauts faits d'armes, puisqu'il boute les Huns hors du château fort de Hohentwiel. Avec ses cinq actes réservant une place importante aux chœurs et tableaux spectaculaires, l'ouvrage ressortit clairement à l'esthétique du grand opéra français à la Meyerbeer. Peu de pages s'inscrivent durablement dans la mémoire de cette partition souvent grandiloquente, à l'orchestration assez pesante, mais d'une indéniable efficacité dramatique.

Enregistrée en 1998, cette seule version disponible sur le marché possède un atout majeur en la présence du jeune Jonas Kaufmann, alors âgé de 29 ans et qui entrait dans les studios pour la deuxième fois, après Die drei Wünsche de Carl Loewe (Capriccio, 1996). Beaucoup plus claire qu'actuellement, la voix s'épanouit avec bonheur dans un rôle héroïque à souhait qui met en valeur ses aigus glorieux et un sens des nuances déjà très développé. Il faut l'entendre dans sa très belle scène du troisième acte (« Der Gedanken Sturm zu bannen ») pour comprendre comment il réussit à transcender des pages d'une relative banalité d'écriture. Si les personnages secondaires de Rudimann et de la Femme des bois trouvent en Christian Gerhaher et Mihoko Fujimura des interprètes de haut niveau, le reste de la distribution s'avère très décevant. Aux prises avec des problèmes d'intonation et une émission chaotique, Nyla van Ingen fait pâle figure en Hadwig, tandis que Susanne Kelling ne réussit pas à rendre parfaitement crédible la passion de Praxedis pour le valeureux moine guerrier. Avec leurs moyens modestes et leur timbre rocailleux, Jörg Hempel et Alfred Reiter offrent des portraits bien ternes du comte de Montfort et de l'abbé Watzmann. Le chef Peter Falk compense certaines imprécisions de l'orchestre par une lecture dynamique qui manque toutefois de subtilité par moments. Il ne peut malheureusement corriger la qualité très moyenne d'un chœur peu homogène ne pouvant pleinement répondre aux exigences d'Abert. En dépit de ces nombreuses réserves, le coffret est néanmoins précieux en raison du splendide Ekkehard de Jonas Kaufmann.

 

Louis Bilodeau