Annemarie Kremer (Violanta), Michael Kupfer-Radecky (Simone Trovai), Norman Reinhardt (Alfonso), Peter Sonn (Giovanni Bracca), Soula Parassidis (Bice), Anna Maria Chiuri (Barbara), Joan Folqué (Matteo), Chœur et Orchestre du Teatro Regio de Turin, dir. Pinchas Steinberg, mise en scène : Pier Luigi Pizzi (Turin, janvier 2020).
DVD Dynamic 37876. Notice et synopsis en italien et anglais (avec un entretien avec Pier Luigi Pizzi réalisé par Susanna Franchi). Distr. Outhere.


Vingt ans ! Korngold, après avoir triomphé par quelques opus symphoniques dont Arthur Nikisch et Richard Strauss s’étaient disputé les créations, allait stupéfier Munich avec un opéra en un acte mêlant fascination sexuelle et vengeance. Le sujet de Violanta – une femme incapable de venger la mort de sa sœur tombant sous l’emprise de son meurtrier – n’est pas sans évoquer celui plus classique (le meurtre d’une épouse adultère par son mari) que Zemlinsky mettait parallèlement en musique dans sa Tragédie florentine d’après la pièce d’Oscar Wilde ; le cadre italien et l’action resserrée en un acte les rapprochent encore, comme un orchestre vénéneux, surchargé, décadent et une écriture vocale assez italianisante.

Bruno Walter créa la tragédie vénitienne du jeune Korngold, lors d’une soirée où fut également donné L’Anneau de Polycrate, qui en restait à la veine légère et que Maria Ivogün et Karl Erb portèrent au triomphe, laissant Violanta un peu en retrait, servie par des chanteurs moins prestigieux. L’œuvre se vengera par la suite lors de la reprise viennoise, où Maria Jeritza imposa le caractère ambigu de la patricienne vénitienne. Korngold a écrit son héroïne pour un grand soprano dramatique dont les aigus doivent être brillants, Jeritza y jetait tous ses feux, et les rares interprètes modernes de ce rôle dangereux n’auront pas réussi à incarner cette voix dardée, hautaine, celle d’une quasi-Turandot, Éva Marton en saisissant du moins l’héroïsme sinon la sensualité ou le pathétisme dans l’enregistrement de Marek Janowski qui révéla aux discophiles une œuvre que les théâtres avaient oubliée depuis les années vingt.

C’est précisément dans la Venise des années 1920 que Pier Luigi Pizzi transpose ce drame de la Renaissance en période de carnaval, et il lui donne une indéniable touche viscontienne, jusque dans des costumes somptueux, qui ne le dispensent pas d’une vraie direction d’acteurs. Le spectacle se regarde avec avidité, d’autant que Pinchas Steinberg emporte le drame dans des tempos ardents, inspirant à l’Orchestre du Regio une tension de tous les instants. Grand soprano au timbre hélas ingrat, Annemarie Kremer ne fait qu’une bouchée de l’écriture meurtrière que lui aura réservée Korngold, et l’on peut rêver d’autant plus aux splendeurs vocales, au portrait psychologique bien plus troublant qu’avait imposés Jeritza. Un Simone rogue de voix s’oublie pour mieux savourer le bel Alfonso de Norman Reinhardt, timbre doré, mots sensuels, impossible de lui résister. Même si la distribution reste imparfaite, pour l’orchestre de Steinberg, plus évocateur que celui de Janowski, pour le spectacle exemplaire de Pizzi, cette Violanta est indispensable.

Jean-Charles Hoffelé