Katarzyna Hołysz (Neala), Robert Jezierski (Akebar), Yuri Gorodetski (Idamor), Szymon Komasa (Dżares), Tomasz Warmijak (Ratef). Chœur de la Philharmonie de Varsovie, Orchestre philharmonique de Poznań, dir. Łukasz Borowicz (enr. live, Philharmonie de Poznań, 7-12 avr. 2019).
Dux 1622-1623 (2 CD). Présentation bilingue (pol., angl.), livret bilingue (ital., pol.). Distr. DistrArt Musique.

C’est le dernier opéra tragique de Moniuszko. Une histoire de prêtresse pécheresse comme on les aimait à l’Opéra, depuis la Vestale, Norma et Leïla des Pêcheurs de perles, en attendant la Sita du Roi de Lahore et Lakmé… Mais l’interdit, dans le drame de Casimir Delavigne, n’est que social : le brahmane Akebar libère de ses vœux sa fille Neala et l’unit au guerrier victorieux Idamor. Or celui-ci est un paria, dont l’identité est révélée par son père Dżares, qui erre à sa recherche : cela lui coûtera la vie. Après la mort de son bien-aimé, Neala partira avec Dżares partager le sort des parias.

Entre opéra intimiste et grand opéra – la scène de reconnaissance du fils et du père peut faire penser à celle du Prophète de Meyerbeer –, Moniuszko ne trouve pas vraiment sa voie. Même si tout s’écoute très agréablement, notamment les chœurs (charmantes prêtresses), même si le troisième acte est plus théâtral, il a ici le souffle un peu court, beaucoup moins à l’aise que dans les sujets polonais. Cet opéra sur l’exclusion, ce qu’était déjà Halka, n’alla d’ailleurs pas, après sa création le 11 décembre 1867, au-delà de six représentations.

Le voici aujourd’hui en version italienne – cela incite aussitôt à la comparaison avec Il Paria de Donizetti, tiré de la même source. Une façon de l’annexer à la tradition européenne, annexion sans doute plus justifiée que celle de la Halka italienne telle qu’avait ressuscitée Fabio Biondi. Le musicien ne l’aurait pas désavouée, lui qui avait essayé, par exemple, de se faire une place à Paris.

C’est un des concerts de l’année Moniuszko, dirigé par l’excellent Łukasz Borowicz, dont la direction raffinée et colorée trouve cet équilibre auquel le compositeur n’est pas tout à fait parvenu, à la tête d’un orchestre et d’un chœur de grande qualité. De quoi faire de l’ombre au Paria en polonais, plus brut et moins bien capté, de Warcisław Kunc, à qui nous avions, en son temps, reconnu des mérites certains. La distribution, malheureusement, ne rejoint pas toujours le chef sur la même hauteur. Déjà Neala chez Kunc, Katarzyna Hołysz est six ans après usée et instable, sans soutien, avec des aigus problématiques et une ligne relâchée. S’il tient beaucoup mieux la sienne et peut faire de jolies nuances, Yuri Gorodetski manque aussi de fermeté dans le phrasé, trop léger peut-être, sacrifiant la vaillance à un dolorisme uniformément élégiaque – Tomasz Kuk était plus héroïque. Parfois un peu verts mais dotés de beaux timbres, les deux pères clés de fa ne manquent pas de qualités : Robert Jezierski a la noblesse du brahmane à défaut d’avoir la profondeur de ses graves, le paria stylé de Szymon Komasa trahit seulement un peu de timidité dans ses élans – chez Kunc, Janusz Lewandowski et Leszek Skrla avaient plus de présence. N’était Neala, ce Paria italien aurait pu, ne serait-ce que grâce à la direction, constituer une alternative à la version polonaise. Si vous avez de l’inclination pour la prêtresse, précipitez-vous sur l’air du deuxième acte par Teresa Żylis-Gara, le dernier grand soprano polonais.

Didier van Moere