Luca Salsi (il conte di Luna), Anna Netrebko (Leonora), Yusif Eyvazov (Manrico), Dolora Zajick (Azucena), Riccardo Fassi (Ferrando) , Elisabetta Zizzo (Ines), Carlo Bosi (Ruiz), Orchestre, Chœur et Ballet de l’Arène de Vérone, dir. Pier Giorgio Morandi. Mise en scène : Franco Zeffirelli (live, Vérone 2019)
DVD C Major 754608. 157 minutes. Pas de notice, synopsis trilingue dont franç. Distr. DistrArt Musique.


Le festival de Vérone reprend en 2019, au lendemain de la mort de Zeffirelli, la célèbre mise en scène du Trouvère que ce dernier avait conçue en 2001. En vérité il s’agit plutôt d’une mise en espace, accordée à la vastitude des lieux que nos écrans ne peuvent totalement embrasser. Les tours monumentales du château fort hérissées de lances et de boucliers guerriers en imposent assurément. Particulièrement celle qui, à l’acte II, s’ouvre de manière spectaculaire pour faire apparaître en son sein un autel illuminé que surplombe un Christ en croix, alors que surgissent sur le plateau à la lumière des cierges hommes casqués et pénitents. Ne manque pas même à cette débauche d’effets, culminant sur un ballet d’opérette, la chevauchée des deux amants sur leur fougueux destrier ! Le réalisateur très aguerri, Tiziano Mancini, privilégie pour sa part le sombre plateau où s’agitent, sans réelle direction d’acteurs, les protagonistes de ce drame échevelé. Cette focalisation nous vaut d’apprécier les mouvements de foule et les costumes surchargés des solistes mais surtout les mérites ou défauts desdits héros.

Avouons que la direction du chef Morandini semble compromettre d’emblée le niveau musical et vocal de l’ensemble. Ce surdoué, hier assistant de Giulini, formé au contact de Bernstein, n’est en rien un second couteau. Il reste que son Verdi regarde trop souvent vers Puccini, en ce qu’il abuse du rubato permanent et invite les chanteurs à de complaisants alanguissements, au détriment de la syntaxe rigoureuse du compositeur. Un exemple parmi d’autres, le délayage d’« Il balen del suo sorriso » surexposant les incertitudes d’intonation et de style d’un Luca Salsi, trop souvent partagé entre accents outranciers et lyrisme émollient. L’Azucena d’une Dolora Zajick éprouvée par les ans pâtit d’autant plus de cette lenteur que le chœur des bohémiens qui précède ses trilles douloureux est porté à un déhanchement rythmique d’opéra bouffe. Riccardo Fassi, d’une incertaine autorité, avait subi avant elle une identique rupture entre afféteries et nervosité orchestrales. Malgré ses récents progrès le ténor Yusif Eyvazov ne peut compenser par son indéniable ardeur le peu de séduction d’un timbre ingrat. Un « Mal reggendo » prodigue en décibels, un « Di quella pira » plutôt bien projeté, lui valent néanmoins un certain succès. Son épouse à la ville, Anna Netrebko, dispense, elle, le meilleur et le moins bon. Le double profil de ce soprano mi-spinto mi-lirico, la porte aux aigus glorieux autant qu’aux diminuendi flûtés dès son « Tacea la notte » initial. La cabalette séduit moins, tant elle manque de délié voire de justesse in fine. « D’amor sull’alli rosee » tend à se déliter au fil des mesures complaisamment distendues par le chef.

Un Trovatore grand spectacle en mémoire de Zeffirelli, inégalement servi par une distribution mal disciplinée par un maestro partagé entre abandons façon Jeune école et slancio verdien.

Jean Cabourg