Fabio Trümpy (Prometeo), Scott Conner (Peleo), Mariana Flores (Tetis), Giuseppina Bridelli (Nisea), Borja Quiza (Satyro), Zachary Wilder (Mercurio), Ana Quintans (Minerva), Kamil Ben Hsaïn Lachiri (Hercules), Victor Torrès (Nereo), Anna Reinhold (Pandora), Alejandro Meerapfel (Jupiter), Lucía Martín Cartón (Aragne), Chœur de chambre de Namur, Cappella Mediterranea, dir. Leonardo García Alarcón (2018).
ALPHA582 (2 CD). 2h40. Notice en français. Distr. Outhere.

Né à Rimini, formé à Padoue, Antonio Draghi (1634-1700) fait partie de ces musiciens italiens – comme Cesti avant lui et Caldara après lui – dont la carrière s’épanouit en Autriche : arrivé à Vienne en 1658, il y gravit peu à peu les échelons jusqu’à obtenir le poste convoité de Kapellmeister trente ans plus tard. Il est réputé avoir composé 170 opéras, mais, jusqu’à présent, le disque ne nous avait révélé que quelques oratorios. Particulièrement intrigante s’avère l’œuvre ici enregistrée, dont la première version, en italien, fut créée en 1668 sous le titre de Benche vinto, vince Amore, o il Prometeo (« L’Amour vainc bien que vaincu, ou Prométhée »), avant de connaître, l’année suivante, une version en espagnol, réalisée pour fêter l’anniversaire de la reine d’Espagne (belle-mère de l’empereur Léopold Ier). C’est cette seconde mouture, rodée en scène à Dijon, que nous fait découvrir la Cappella Mediterranea. À la façon des grandes fêtes mythologiques telles que Il pomo d’oro de Cesti, ce Prométhée convoque une foule de dieux et héros (douze rôles !) et entrelace diverses légendes : celle de Prométhée volant le feu qui lui permettra d’animer sa Statue (dont il tombe amoureux, comme Pygmalion), celle de la déesse marine Thétis, courtisée à la fois par Pélée et Jupiter, celle d’Arachné, changée en araignée pour avoir défié Minerve, etc. Dans la lignée de l’opéra vénitien, Draghi privilégie pour ce livret prolixe (dont il est l’auteur) un récitatif-arioso toujours mouvant, entrecoupé de lamenti, chansons, récits accompagnés et chœurs évoquant les séguédilles. Alarcón ayant échoué à retrouver la partition du troisième acte, il l’a lui-même (re)composée – avec un brio peut-être trop confondant : bien qu’il adopte les mêmes formes que Draghi, son écriture harmonique plus audacieuse rend sa composition très supérieure, pour une oreille moderne, à ce qui l’a précédé (on notera la richesse de la scène d’Arachné, la belle plainte de Jupiter et un finale dont le climat planant, digne d’Arvo Pärt, se mêle à un contrepoint superbement fleuri !).

Menée avec fougue et sensibilité, la Cappella Mediterranea brille de mille feux, aussi bien sous les traits d’un continuo profus, ductile, que lorsque tout l’effectif s’associe au chœur (enregistré d’un peu loin). La caractérisation vocale est moins homogène. Le superbe Prométhée de Fabio Trümpy, ténor suave et viril, à la diction parfaite et capable de mille nuances, domine de haut la distribution. Ailleurs, on est gêné, comme souvent dans les disques d’Alarcón, par l’émission poussée, voire criarde de certaines chanteuses (Flores, Reinhold, Martín Cartón et même, parfois, Quintans) que la langue espagnole et la direction encouragent à une sorte d’ « expressionnisme » qui ne peut passer qu’en scène – en comparaison, le chant soyeux de Bridelli, dans un registre plus grave, repose délicieusement l’oreille. Les barytons sont aussi inégaux, Quiza campant un Satyre parfaitement goujat et Ben Hsaïn Lachiri un Hercule paternel, tandis que les timbres de Meerapfel, Conner et Torrès manquent de métal. Une très originale découverte que l’on aurait peut-être davantage goûtée en DVD...

Olivier Rouvière